Synopsis
Acqua in bocca, en Corse, c’est avoir de l’eau dans la bouche et donc garder le silence. C’est retenir une parole. Il faut parfois faire un film pour qu’elle parvienne à s’exprimer. P. Thirode s’interroge sur les circonstances mystérieuses entourant la disparition de son grand-père maternel, décédé en Corse en juillet 1944, un an après la libération de l’île. Celles-ci ne lui furent jamais transmises par son entourage familial, soucieux de ne pas trahir le silence de sa propre mère sur ce sujet. Qu’est-il arrivé à ce commerçant grossiste corse, jeune veuf, incarcéré peu avant sa mort ? A-t-il été un collaborateur zélé auprès des autorités italiennes occupantes de l’île ? Est-il une victime désignée des premières mesures d’épuration ? Sa petite-fille part donc en Corse, accompagnée de ses deux jeunes filles, à la recherche d’éléments de réponses. C’est une investigation menée à trois, malgré les réticences de la mère de la réalisatrice. Ses maigres indices sont les légendes d’un album dont toutes les photos ont été arrachées. Elle se heurte à un double obstacle handicapant une libération de la parole. L’omerta liée à la culture corse qui préconise de ne pas dire, ne pas transmettre quelque chose que, de toute façon, on préfère ignorer. À cela s’ajoute l’omerta entourant cette période grise de notre histoire, où la tentation du manichéisme est toujours un peu vaine. Les réponses que glanera P. Thirode à l’issue de sa démarche seront, bien sûr, un peu de cette couleur incertaine. Mais l’important est le chemin. Ce chemin est arpenté avec des moyens modestes (quelques adresses, des échanges de mails avec des historiens, une caméra vidéo) qui séduisent car ils créent de la proximité entre les "acteurs" et nous, les spectateurs. Nous pensons que nous pourrions nous retrouver dans cette situation et nous aimerions pouvoir prendre les mêmes décisions judicieuses, comme celle de concerner ses propres enfants, de partager avec eux conjectures et suppositions. Le film est prenant parce que les impasses, les attentes dans les chambres d’hôtel, les avancées soudaines, font advenir de la fiction sans qu’il y ait besoin de forcer le trait avec des artifices narratifs voyants. La mère de la réalisatrice, présente et absente, semble à la fois désirer et redouter d’entendre de sa fille une parole qu’elle n’a su ou pu lui transmettre. C’est un beau personnage, qui nourrit et enrichit le propos de la cinéaste. D’un simple point de vue informatif, le film ne nous apprend pas grand-chose qu’on ne sache déjà sur cette période. C’est donc un film qui s’affiche modeste, qui a bien circonscrit son territoire et qui parvient à tenir cette ligne grâce à sa capacité à se fier au réel, à lui faire confiance dans ses potentialités de fiction. Il n’est pas si simple de résister à la tentation de forcer le trait, de dramatiser un matériau concret. Acqua in bocca, avec sa pauvreté de moyens, respecte des principes simples, qui en font une oeuvre ténue, tenue et retenue.
© LES FICHES DU CINEMA 2011