Synopsis
Version courte d’un documentaire de quatre heures, le film de Robert B. Weide se concentre surtout sur la première moitié de la carrière d’Allen, au cours de laquelle celui-ci posa les jalons de son art. Comme entertainer d’abord (dans la presse, sur scène ou sur les plateaux de télévision, où ses punchlines corrosives et son sens de l’improvisation faisaient merveille) puis, bientôt, en tant que cinéaste : du farcesque Bananas au bergmanien Intérieurs, et des vertiges théoriques de Zelig à l’onirisme délicieusement romantique de La Rose pourpre du Caire, sans oublier le modèle de comédie sophistiquée qu’est Manhattan (dont lui-même peinera, sur le moment, à estimer la valeur, allant jusqu’à supplier les studios de ne pas le sortir en salles), avant d’en livrer, depuis, des variations plus ou moins heureuses. Dommage, donc, que le film passe notamment sur deux perles (Harry dans tous ses états et Celebrity) qui, coup sur coup, dans les années 1990, en ont sans doute dit long sur le rapport complexe, parfois douloureux, d’Allen à son inspiration. S’il n’est pas sûr que l’aficionado découvre ici grand-chose de neuf, ni que le cinéphile se contente d’un passage en revue des thèmes chers à l’auteur - quand les questions de mise en scène sont littéralement éludées -, le film vaut en revanche pour le tableau qu’il dresse de la petite industrie allenienne, paraissant obéir à ses règles et à son rythme propres, et conduite par un cinéaste qui, échaudé par son expérience de scénariste sur What’s New, Pussycat ? (les réécritures successives décidées par la production tireront le film du côté de la farce épaisse), se sera par la suite assuré un contrôle absolu - pour ainsi dire unique dans la profession - sur son oeuvre. Il amuse, au passage, par son évocation d’un auteur pour qui l’art est un muscle, une activité réglée et quotidienne, une routine à horaires fixes (qu’une journée de tournage s’éternise, et celui-ci s’agace à l’idée de manquer le base-ball à la télé). Si les passages consacrés à la décennie écoulée sont, de loin, les moins convaincants, sacrifiant à l’anecdotique et à la langue de bois promotionnelle (Scarlett Johansson : Sur le tournage de Match Point, nous sommes devenus de vrais amis ! Josh Brolin : "C’est un tel honneur de travailler avec lui !"), le film dévoile in fine ce qui semble à la fois le coeur et le moteur de son travail. Porté par l’ambition de produire, un jour, son grand oeuvre, Woody Allen, qui avoue avoir opté pour les principes conjugués de la vitesse et de la quantité, s’évertue à tourner avec une régularité effarante. Or, celle-ci dissimule un tout autre souci. Allen, hanté par l’idée de sa fin prochaine - depuis l’âge de 5 ans, précise-t-il, lorsqu’il a pris conscience de sa mortalité -, filme pour tenir à distance ses questionnements existentiels (tout en faisant de ceux-ci la matière de son cinéma, un assez joli paradoxe). On pourra donc deviser à loisir sur ses oeuvres les plus récentes, leur caractère régulièrement mineur, ou se demander si "Midi à Barcelone" vaut mieux que Minuit à Paris : Woody, tout à son oeuvre - tout à sa terreur - est déjà loin.
© LES FICHES DU CINEMA 2012