Synopsis
Suite au succès de Valse avec Bashir, le documentaire animé a eu le vent en poupe. On se souvient ainsi, notamment, des Petites voix, sorti l’année dernière, où les réalisateurs s’inspiraient de dessins d’enfants soldats, en Colombie, pour animer leurs histoires. Le second film de la réalisatrice roumaine Anca Damian s’inscrit dans cette veine et le revendique dans le dossier de presse. Elle revient sur la consternante histoire vraie d’un jeune Roumain emprisonné, en Pologne, suite à une erreur judiciaire. On le sait, la machine étatique a toujours su ne pas reconnaître ses erreurs et Le Voyage de Monsieur Crulic apporte une nouvelle démonstration de cette politique de l’autruche si commune dans l’administration. On voit donc progressivement l’accusé revenir sur sa déposition, et tout un tas de témoins confirmer que le jeune homme se trouvait en Italie au moment du vol dont il est accusé. Rien n’y fait. Le film se poursuit avec la grève de la faim entreprise par le jeune homme pour se faire entendre. Mais au lieu d’éveiller les consciences ou l’empathie, son action ne fait qu’entraîner de nouvelles erreurs administratives et conséquences bureaucratiques néfastes pour sa santé. Tiré, pour une grande part, des lettres et du journal intime du prisonnier, Le Voyage de Monsieur Crulic est narré à la première personne, par une voix off monocorde et glaçante, bien que parfois teintée d’ironie. Le jour de sa mort, l’homme commence à raconter son histoire. Ambiance. L’animation est ici un effet de mise en scène qui permet à la réalisatrice de poser un voile pudique sur la réalité qui a été vécue, et d’éviter, ainsi, de tomber dans le pathos des docu-dramas. Mais de l’aveu même de la cinéaste, cette forme animée est également une façon de se démarquer du Hunger de Steve McQueen, qui abordait un sujet comparable et avait marqué la jeune femme. Le film propose un travail d’animation complexe, mêlant dessin animé classique, photo en mouvement et film "live" réanimé par la magie du dessin. Mais la contrepartie de cette direction artistique sophistiquée est qu’elle peut éclipser un peu l’histoire et tenir à distance les émotions. Tout le film semble ainsi être une lutte entre le récit et sa mise en forme, un questionnement sur la manière de filmer une histoire dramatique sans tomber dans le voyeurisme. Risque d’autant plus grand que ce qui est dénoncé, l’inhumanité de l’administration appliquant des principes absurdes, est un sujet, certes consternant, mais déjà beaucoup vu au cinéma. L’animation est donc là aussi pour apporter une poésie et une certaine légèreté, qui permet à la documentariste d’esquiver les dangers, et au film de se conclure sur un final assez bouleversant (le linceul recouvrant le corps en état de momification avancée, s’élève de la cellule pour sortir de la prison et s’envoler dans l’immensité du paysage). Il faut rester, par ailleurs, jusqu’à la fin du générique, où l’on voit les différents hauts fonctionnaires impliqués essayer de se disculper de la mort du détenu. Responsables, peut-être, mais pas coupables. Un air bien connu en France. L’histoire de Crulic, au final, nous touche parce qu’elle est universelle.
© LES FICHES DU CINEMA 2012