Synopsis
Ce documentaire retrace le parcours de Munio Weinraub Gitai, architecte et père d’Amos Gitai, depuis sa Silésie natale du début du XXe siècle jusqu’en Israël, où il mourut en 1970, en passant par Weimar, où il se forma au Bauhaus avant de fuir les nazis. Le film se compose de témoignages, de documents d’époque et de lettres lues en voix off, de photos, de scènes reconstituées avec des comédiens, et suit une ligne chronologique. Ce dispositif composite recherche plus l’évocation que la biographie strictement factuelle. Amos Gitai tente de restituer les enjeux d’un moment historique et l’état d’esprit de ce père dont la vie se confond avec le siècle. Au coeur de ce projet : l’architecture et son rôle politique. Ce que l’on entend, en suivant l’évolution de Munio, qui apprit d’abord le métier de charpentier avant d’intégrer la célèbre école où enseignèrent Kandinsky, Klee ou Mies van der Rohe, c’est le souci de construire un monde vivable, des maisons, des lieux à la fois fonctionnels et invitant aux échanges, à la convivialité. Cet esprit, cette éthique entrèrent en résonance avec l’idéal collectiviste des kibboutz, que connut ensuite Munio. Un vieil homme se demande au début du film si ces idées existent encore aujourd’hui en Israël. La bourgeoisie y impose un retour à une sorte de rococo décadent, et il ne reste plus grand-chose du véritable travail du Bauhaus, détourné depuis des années par les décideurs qui n’en ont finalement retenu que la rationalité et le minimalisme dans le but de faire des économies. À travers ce prisme, c’est un vaste morceau d’histoire que convoque le documentaire. Le problème est qu’il le fait sur un mode distancié et quasi élégiaque, qui confine parfois au soporifique. Plutôt que de communiquer l’énergie créatrice du Bauhaus, bientôt contrariée par l’oppression nazie, et d’entraîner le spectateur dans la tourmente qu’a dû affronter Munio, Gitai donne à son récit un rythme lent et une tonalité franchement mélancolique, qui contrastent avec ce qu’on imagine avoir été l’enthousiasme de ces hommes et femmes qui écrivirent, malgré la tragédie, une page importante de l’histoire de l’Europe et d’Israël. Associant sans vivacité des fragments hétérogènes (éléments proprement documentaires, scènes jouées par des acteurs, poèmes...), le film peine à trouver sa forme, et revêt une certaine froideur. Les reconstitutions - tel le procès de Munio, accusé en 1933 de trahison du peuple allemand pour avoir distribué des tracts - ne sont pas convaincantes - trop longues, dépourvues d’émotion - et ne sont pas loin d’évoquer les procédés télévisuels. Le début du film laissait pourtant entrevoir un tout autre développement possible. Un vieil homme alité dans une maison de retraite se souvient avec émotion de l’époque de la guerre, s’interroge sur la fascination de la population pour le nazisme, et rappelle que le Bauhaus n’était pas un style mais une façon de travailler, impliquant une réelle coopération entre les différents métiers. Avec ce plan fixe inaugural de quelques minutes, Gitai en a dit plus sur le XXe siècle et sur son père que dans tout le reste de son film.
© LES FICHES DU CINEMA 2013