Synopsis
« J’ai fait le con.» C’est par cette sentence franche et caustique que le documentariste Éric Pittard introduit son film. Quelques minutes plus tard, le cinéaste brandit à l’image un morceau de pellicule et un sextoy, comme une allégorie de la mémoire et du désir. Dès les premiers instants, l’équilibre du film est trouvé : un mélange détonant de spontanéité et de sincérité. C’est l’histoire d’un homme qui a vu sa vie basculer le jour où on lui a diagnostiqué un cancer, il y a quelques années. Si le déroulement du récit est évidemment assez classique, la maladie impliquant des étapes obligatoires jusqu’au rétablissement, c’est par sa forme que le film parvient à surprendre. Car Éric Pittard a choisi de mélanger deux approches différentes : le documentaire et la fiction. Face caméra, le réalisateur, confidence après confidence, parle de son expérience de la maladie qui s’est progressivement installée dans son corps : les séjours à l’hôpital, la perte du désir, la mémoire qui fout le camp, et les moyens de remédier à tout ça. Cette partie documentaire est complétée par l’utilisation d’images de différents reportages que le cinéaste a réalisés durant sa carrière et qu’il commente. En filigrane se dessine alors un portrait de la société contemporaine en temps de crise. Celui-ci n’apparaît pas toujours de manière très compréhensible au sein du «journal» autobiographique mais pour autant, il n’entrave jamais la narration du film, les extraits apparaissant comme des fulgurances au sein d’un récit assez cadenassé par la voix off. À tout cela, s’ajoute donc une partie fictionnelle, centrée sur deux personnages : un couple, Éric et sa femme Leila, interprétée par Marie Raynal. À la crise sociale vient ainsi faire écho la crise du couple. Dans cette partie, Pittard livre des reconstitutions de son quotidien, en couple ou à l’hôpital, en mêlant acteurs professionnels (Jackie Berroyer, Brigitte Sy) et amateurs. Cette mixité documentaire-fiction se retrouve aussi dans la mise en scène, à la fois très statique, fondée sur la captation pure, mais à l’esthétique extrêmement léchée, avec un superbe Noir & Blanc. Ce choix peut étonner et laisser par moments le spectateur dans l’expectative, mais il confère au film une tonique audace, et lui permet de développer une énergie communicative, comme dans cette scène où des danseurs de hip-hop tournoient devant les regards étonnés des patients d’un hôpital. Autres séquences marquantes : un tango dansé à l’improviste, un échange amical qui tourne à l’insulte entre Éric et une SDF... Le film peut ainsi toucher à une certaine poésie du quotidien, précieuse et émouvante. Mais les plus belles scènes sont réservées au couple, et donnent au film tout son sens et sa force cathartique. De l’usage du sextoy en temps de crise se retrouve ainsi sans cesse nourri de ces instants de tous les jours dont on ne parvient pas à séparer la fiction du documentaire, la reconstitution de la pure invention... Une oeuvre étrange, stimulante et imprévisible.
© LES FICHES DU CINEMA 2013