Synopsis
?Pour avoir elle-même suivi l’un d’eux, voici quelques années, Coline Serreau connaissait la qualité pédagogique des stages de récupération de points de permis, la compétence de ceux qui les animent et l’extrême diversité socioprofessionnelle - voire ethnique - des intervenants (dont tous, ou presque, ont accepté de participer à ce documentaire, visages non floutés et en plan - bizarrement - très rapproché). De la grande bourgeoise qui n’aime pas la vitesse mais les accélérations, au Malien timide passé au feu rouge pour n’avoir pas vu la maréchaussée embusquée, de la retraitée joviale et persuadée que seuls les autres commettent des fautes de conduite, au commercial à gourmette convaincu que le système, sottement répressif, est attentatoire aux libertés, en passant par la RMIste dont l’amertume exprime, au-delà de son statut de mauvaise conductrice, la violence sociale qui lui est faite. Voila un précipité d’humanité dont est représentative cette incroyable bigarrure, réunie dans un petit espace - la salle de cours (unité de temps, de lieux, de personnages). En vertu d’un habile montage - jamais complaisant - qui donne la parole à tous, touche, transforme sans heurter, séduit sans vulgarité, Serreau tire le meilleur parti possible de cette captation, dont l’effet comique souligne plus avant l’incroyable mauvaise foi des stagiaires (je ne téléphone pas au volant, mais je réponds aux appels). Ainsi devient-on le spectateur d’une lente mutation, d’une culture de l’impunité - tous ne comprennent pas le caractère délinquant d’une conduite sous l’emprise de l’alcool, de la drogue ou de la vitesse - à une réelle prise de conscience. Les outils ici utilisés, extrêmement fiables et "percutants", permettent d’illustrer de façon imparable, tant pour les stagiaires que pour le spectateur, que 10 km/h en moins sauve des vies et que tenir un volant revient à maîtriser un engin de mort. L’ensemble du documentaire s’articule autour des interventions, passionnantes, des acteurs du secteur, qu’ils militent pour la sécurité routière (Association contre la violence routière), la défense des automobilistes (avocat spécialisé) ou qu’ils soient les témoins quotidiens, navrés et consternés, des vies que la route dévaste (infirmiers). Par cette immersion sensible dans ce qui, pourtant, aurait pu déraper dans la complaisance et la bien-pensance des uns, ou dans le corporatisme forcené des autres, Serreau réussit le pari d’en extraire une oeuvre subtile et équilibrée. Où chacun est entendu avec mesure dans ses convictions et le respect d’une argumentation qu’on prend le temps de dérouler dans son entièreté et donc sa cohérence. Le film fait preuve d’une volonté métaphorique de souligner combien une société portée par la seule volonté de puissance comme par l’obsession de la compétition et de la performance, annihile toute notion d’entraide et, qu’au volant, la surestimation de soi et l’affirmation de sa prééminence sont des postures qui tuent. Ce travail délicat sur la nature humaine dans toutes ses expressions ne fera pas le seul régal des automobilistes mais de tous ceux qui aspirent à comprendre ce qui fait société pour réinterroger l’espace public et ainsi peut-être aussi l’espace social. _N.Z.
© LES FICHES DU CINEMA 2014