Synopsis
Avec Pater, puis Le Paradis, ses deux films précédents, Alain Cavalier sortait du sentier autobiographique emprunté avec La Rencontre (déjà entrevu avec Ce répondeur ne prend pas de message en 1978) et qui le mena jusqu’au sublime Irène. Il restait, cependant, fidèle à sa petite caméra et à cette exquise fantaisie qui fait la joie de ses zélateurs. Dans Pater, Cavalier s’effaçait derrière son rôle de président et faisait une large place à son Premier ministre, l’excellent Vincent Lindon. Dans Le Paradis, il évoquait La Bible et L’Odyssée avec trois bouts de ficelle. Ici, c’est à peine si l’on entend sa voix. Dans Le Caravage, notre "filmeur" disparaît presque complètement, tout entier au service de son sujet, à savoir le cheval éponyme. Arrivant à l’aube au théâtre équestre Zingaro, Cavalier capte la relation quasi muette qui se tisse entre l’animal et Bartabas durant le dressage. Il filme aussi les soins, les palefrenières, les boxes, la paille. Mais l’essentiel de sa curiosité est pour cette bête splendide, ses muscles glissant sous la peau, le son terrible de ses sabots au moment du galop, et ce regard intelligent et infiniment mystérieux. Cavalier semble ici toucher à l’aboutissement de son travail d’artisan cinéaste, entre humilité totale du geste et ambition presque mystique de voir vraiment les choses. Comme Cézanne peignant ses pommes, le filmeur filme le cheval. Il n’explique pas ce qu’il se passe, il ne fait pas un documentaire sur le dressage ou sur le quotidien au théâtre Zingaro : il s’efforce seulement de capter au plus près, au plus juste cet animal au travail. Les plans sont souvent très serrés, la caméra suit chaque mouvement du cheval, s’attarde sur la vapeur qui s’élève de son dos après l’effort, sur le câlin rituel entre l’écuyer et sa monture en fin de séance... Le cinéaste ne fait pas de discours sur l’équitation : il tente, avec l’outil qui est le sien, de rassasier son oeil gourmand de cette chair puissante et fascinante. On prend du reste conscience, au passage, de l’inutilité de la plupart des commentaires dans nombre de documentaires. Sans voix off ni écrits explicatifs, on comprend tout : les problèmes de santé du cheval, l’avancement du spectacle… Loin d’être une expérience aride de cinéma expérimental, Le Caravage est un film tendre, parfois cocasse, où le travail est ponctué de réjouissantes scènes de papouillage. Bien sûr, mieux vaut aimer les chevaux pour apprécier le film. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise : la bête est quasiment de tous les plans. Mais l’intérêt de l’oeuvre est aussi dans ses qualités formelles : on retrouve cette alternance, typique des films récents de l’auteur, entre banalité, voire trivialité, et plans subjuguants de beauté. Cadrant à la perfection les courses folles du Caravage, Cavalier restitue la force effrayante des chevaux, peut-être jamais aussi bien filmée. Une fois encore, l’auteur de Thérèse et du Filmeur affirme avec douceur sa conception infiniment délicate et si simple en apparence du cinéma. Au milieu de tant de films lourds, dans leurs dispositifs de production comme dans leurs contenus, Cavalier n’est que légèreté. _G.R.
© LES FICHES DU CINEMA 2015