Synopsis
Il y a plus de 25 ans, la Devinière ouvrait ses portes. Michel Hock, son fondateur, y accueillait définitivement dix-neuf enfants dits incurables, rejetés partout, et pour lesquels les seuls traitements proposés par la psychiatrie traditionnelle était la camisole chimique et l'enfermement. M. Hock s'engageait à ne les rejeter sous aucun prétexte. Quand Benoît Dervaux découvre la Devinière en 1995, il décide d'y faire un jour un film, et, en 2000, y passe une année. Sans a priori, avec un respect infini et une attention exemplaire, il nous emmène à la rencontre des habitants du lieu. A travers sa caméra, proche mais sensible et discrète, nous faisons la connaissance d'Eric, bricoleur inventif et fana de musique, de Dominique, dont le corps recroquevillé et le visage comme avalé témoignent de la souffrance, de Zacharias, aide-cuistot, d'Anne, nourrie à la cuillère, de Mimi, destructrice à la silhouette de Vénus hottentote, de Jean-Pierre, toujours criant, de Jean-Luc, que peindre transfigure et surtout de Jean-Claude, grand barbu chevelu, obsédé par les démonstrations de force physique et parlant beaucoup avec une lucidité et une poésie parfois sidérantes. Cette verbalisation, rare parmi ses compagnons dont l'expression passe plus volontiers par les cris ou les gestes, lui donne une place centrale dans le film. Sorte de passeur, il fait le lien entre tous, bousculant et consolant tour à tour, dialoguant avec Hock, accueillant Stéphanie, souffrante et muette après un an de claustration et prenant conscience, lors d'une visite poignante à sa mère, de l'angoisse du temps qui passe. Lieu de vie par essence, la Devinière que nous donne à voir B. Dervaux (transfuge de l'émission
Strip-tease et cadreur de Rosetta) porte bien son nom. En effet, le réalisateur ne nous livre jamais les clefs du passé de ceux que, malgré leur âge, le personnel continue d'appeler "les enfants", et qu'il n'y a pas si longtemps on qualifiait d'aliénés. Seuls quelques propos échangés laissent deviner de brefs pans de l'histoire de Jean-Claude. De Hock, nous ne saurons rien, si ce n'est l'essentiel : son refus des grilles et de la chimie que la société emploie d'habitude pour canaliser ou écarter ceux qu'elle craint et rejette. A la Devinière, pas de théories thérapeutiques, mais une écoute, un respect et une liberté pour chacun dont la difficulté d'application s'est inscrite au fil des ans sur le visage de M. Hock. De ce parti pris d'acceptation du trouble profond de l'autre, mais aussi de la volonté de restaurer des liens d'humanité naît, sous l'objectif d'un cinéaste qui a su trouver la juste distance entre observation et compassion, un documentaire souvent bouleversant.
© LES FICHES DU CINEMA 2001