Synopsis
Combien de temps faut-il à la caricature pour se dissoudre et laisser réapparaître l'identité réelle ? Dix ans après sa mort, ce documentaire vient ressortir le corps de Charles Bukowski, prototype de l'écrivain enterré sous des tonnes de malentendus, pour voir où l'on en est. En France, le nom de Bukowski n'évoque pour la majorité des gens qu'une mémorable performance éthylique sur le plateau d'
Apostrophes en 1978. En pleine période punk, un an avant la gainsbarrisation définitive de Gainsbourg et trois ans avant
Droit de réponse, cet épisode avait constitué un temps fort dans l'émergente histoire des dérapages télévisuels. Et c'est dans cette histoire-là, bien loin de la littérature, qu'il est aujourd'hui rangé. Dans le monde des lettres, Bukowski constitue également un objet embarrassant que l'on a tenté d'assimiler à coup de contresens. En réalité, Bukowski est d'abord un homme d'exception, dissimulant derrière d'apparentes brèves de comptoir une vision lucide et subversive de la société moderne. Et la puissance de son oeuvre vient d'une transcription directe et limpide de ce qui le constitue en tant qu'individu singulier : un stimulant mélange de colère, de mélancolie et d'humour, une forme d'élégance perpétuelle, dans les attitudes et la pensée, dans le regard et la diction. Autant dire, donc, que l'homme constitue sans doute la meilleure introduction possible à ses livres. D'où l'intérêt d'un film. Celui-ci emploie une forme excessivement classique. Il suit le parcours de l'écrivain de manière à peu près chronologique, sans développer de réel point de vue. Par ailleurs, J. Dullaghan n'évite pas le classique défilé des interviews face caméra, et l'inévitable côté reportage télé que cela implique. On peut à ce propos s'interroger sur l'intérêt des interventions de Bono ou Tom Waits, et l'absence de personnalités moins connues mais plus directement impliquées dans la vie de Bukowski. Mais sans doute faut-il attribuer ces choix à une volonté de convoquer d'éminents témoins, pour servir une entreprise de revalorisation de l'écrivain. De même, le classicisme du documentaire doit sans doute être mis sur le compte d'un désir de rendre les choses accessibles, d'ouvrir une brêche, susciter la curiosité. Et, de fait, le grand mérite de
Born into this est de faire la part belle aux images d'archives. Bukowski étant physiquement très présent dans le film, il se l'approprie peu à peu, et impose son charisme et sa complexité par-delà le cadre étriqué du portrait. Cette présence massive permet ainsi au film d'être à la fois une honnête initiation pour le novice, et une réjouissante friandise pour l'amateur. Et en attendant que quelqu'un se décide à éditer en DVD les fabuleuses
Bukowski tapes de Barbet Schroeder, ça n'est déjà pas si mal...
© LES FICHES DU CINEMA 2005