Synopsis
Une vieille bâtisse provençale plantée sur une colline, baignant dans le bleu d'un ciel sans nuage, éclaboussée de la lumière sans concession du soleil de midi. Un tableau de Cézanne ? Non, le décor du documentaire d'Anne-Laure Brénéol sur Philippe Caubère, ex-comédien de la troupe du Théâtre du Soleil (dirigée par Ariane Mnouchkine). Depuis vingt ans, il navigue en solitaire, en inventeur génial de spectacles colossaux où, pieds nus sur un patchwork de tapis (revêtement chaleureux et modeste, propice à accueillir tous les espaces imaginaires auxquels nous invite la puissance de ses évocations), il joue sa vie, traversée par celle de ceux qui ont compté dans son parcours d'homme et d'acteur. D'ailleurs, les deux tendent constamment à se confondre. En témoigne cette maison, gorgée de souvenirs d'enfance, lieu de vie qui devient lieu de travail au quotidien, de l'écriture aux répétitions acharnées et filages enchaînés. "Vingt fois sur le métier, remettre son ouvrage", disait l'autre. Ici, Pascal est suivi à la lettre. Travail de mémorisation titanesque, "mâchage" continuel du texte à s'incorporer.... Car le corps de Caubère est sa matière première, et doit littéralement devenir l'antre des personnages qui le hantent sans relâche. Son visage en est marqué. Chaque creux, chaque saillie est l'expression de l'un d'entre eux : jeune, vieux, femme, enfant... Il est multiple. Avec ses sourcils en vagues et cette double fossette qui lui ponctue le visage (l'une au menton, celle de l'homme espiègle et bon vivant, l'autre entre les deux yeux, comme un point de concentration pointu) Caubère est aussi un homme d'une exigence absolue, vis-à-vis de lui-même comme de ses partenaires de toujours. Avec ses colères, ses tyrannies passagères, il est à la fois tourmenté et tourmenteur. En effet, s'il apparaît irrémédiablement solitaire, c'est entouré, supporté, accompagné par sa "tribu" que Caubère, le pilier, mène à bien ses projets mégalos. Il y a Véronique Coquet, compagne et productrice, la fée de l'ombre, toujours au garde-à-vous, Roger Goffinet, assistant à l'écriture et souffleur, et "Luigi", le directeur technique. Chacun met tout en oeuvre pour le bon déroulement des créations, dévoué corps et âme à ce sacré monstre. Car, comme tout génie, Caubère a son caractère et il l'assume ouvertement, acceptant la caméra sans sélection, nous livrant son énergie lumineuse autant qu'obscure. A l'image de ce plan extérieur découpant son buste en deux zones tranchées d'ombre et de lumière. On ne peut que lui souhaiter une sérénité bien méritée, après tant de générosité.
© LES FICHES DU CINEMA 2005