Synopsis
Barbet Schroeder aurait-il une certaine fascination pour les « monstres » ? Du milliardaire meurtrier du
Mystère von Bülow au dictateur Idi Amin Dada (auquel il consacra un portrait il y a trente ans), en passant par le grand « monstre » littéraire Bukowski qu’il filma en 1982, ou même par la psycho-jumelle fictive de
JF partagerait appartement, le cinéaste a ce goût et ce talent pour se (et nous) confronter au pire. Avec
L’Avocat de la terreur, il revient au documentaire et creuse un peu plus ce sillon ambigu et passionnant. Qui trouver de pire que les criminels ? Celui qui les défend, bien sûr. En quarante ans d’une carrière toute en controverse et provocation, Jacques Vergès s’est fait fort de défendre l’indéfendable. Il a fait sienne la fameuse « stratégie de rupture » qui consiste à remettre en cause non pas l’instruction à charge, mais la légitimité même du procès. « Je pourrais défendre Hitler, et même Bush, à condition qu’ils plaident coupables » : une des formules-choc dont Vergès a l’inquiétant secret, et qui résume parfaitement son personnage. La caméra de Schroeder le saisit alors, l’oeil gourmand, fier de son aphorisme, fier de la légende qu’il s’est créée. Avocat sans morale ? C’est en tout cas l’image qu’il renvoie, dont il joue et qu’il entretient avec une irritante autosatisfaction (jusqu’à minimiser, sans ciller, le génocide cambodgien). Des terroristes algériens aux dictateurs africains, de Carlos à Barbie, d’Omar Raddad à Roger Garaudy : il est vrai que, pris dans son ensemble, le tableau de chasse fait froid dans le dos. Tout le mérite de Schroeder et de l’équipe de Yalla Films est d’avoir su trouver la bonne distance entre empathie (la patience de longues interviews-confessions) et critique (la malice d’un montage didactique et ludique, le choix d’intervenants rares comme l’ex-femme de Carlos, Magdalena Kopp, ou le terroriste repenti Hans-Joachim Klein) pour percer au mieux le mystère de l’avocat-monstre et de ses choix. Petit à petit, en remettant les éléments dans l’ordre et dans leur contexte, l’image implacable que Vergès s’est forgée se fissure. Le masque finit par glisser... tout en se gardant bien de tomber. Le film décrit alors une trajectoire désenchantée, depuis l’engagement anticolonialiste auprès du FLN - dont Vergès, d’origine vietnamienne, épouse à la fois la cause et la principale héroïne, Djamila Bouhired -, jusqu’aux années « mercenaire », qui culminent avec le procès Barbie. Entre ces deux extrêmes : huit ans d’exil qui semblent constituer la clé du personnage mais qui resteront à jamais inexplicables et inexpliqués. S’est-il réfugié chez son ami Pol Pot ? A-t-il travaillé pour les services secrets français ? En filigrane de ce parcours, c’est tout le mouvement souterrain de ces dernières décennies qui se dessine : de l’engagement aux désillusions, de la lutte armée au terrorisme aveugle. Glaçant et fascinant.
© LES FICHES DU CINEMA 2007