Synopsis
Jours d’hiver est la transcription en images d’un renku initié par Bashô au XVIIe siècle. Pour un renku traditionnel (le kasen) le poète s’entoure d’invités, qui composent à tour de rôle un haïku, en reprenant systématiquement le dernier « vers » du haïku précédent : ainsi chaque strophe est dépendante des autres, mais en diffère également, en fonction de la personnalité de son auteur. C’est Kawamoto Kihachirô, un marionnettiste japonais, qui eut l’idée d’appliquer les règles du renku à l’animation, en demandant à 35 spécialistes de s’inspirer du texte pour créer de petits courts métrages liés par le poème de Bashô et la musique d’Ikebe Shinichirô (
Rêves,
Rhapsodie en août,
L’Anguille). À l’exception de quelques illustres étrangers, les artistes sont presque tous japonais. Parmi eux, l’« autre » fondateur de Ghibli, Isao Takahata (
Le Tombeau des lucioles) qui, dans un style résolument différent de celui de ses films, transcrit en images « une jarre de pluie d’automne » par une cuvette de WC, sur un mode très poétique. Car il n’est nul besoin d’une adaptation littérale du texte : le haïku est une source d’inspiration, mais il offre beaucoup de liberté aux auteurs, qui mettent à profit leur talent, parfois pour quelques secondes seulement. Le résultat, surprenant, dévoile l’extraordinaire diversité de l’animation japonaise, que l’on aurait (à tort) tendance à réduire aux films Ghibli et aux mangas. Marionnettes (Kihachirô, Masaaki), poupées (Yûko), encre de chine (Reiko) ou gouache (Noriko) : tout un panel de techniques est convoqué. Le film laisse également place à des techniques plus récentes, comme l’animation sur ordinateur, parfois mêlée à des outils traditionnels (comme dans le très réaliste portrait de femme triste de Shimamura Tatsuo). Dans le renku, le rythme va en s’accélérant : visuellement cette accélération se traduit par le passage de films contemplatifs à de véritables petites histoires, souvent comiques, comme c’est le cas avec Yoji, Urumadelvi ou l’Anglais Mark Baker. Dans la pure tradition du renku, Kihachirô a, en effet, fait appel à des « invités » : il offre ainsi la première strophe au maître russe Youri Norstein, qui dépeint une promenade en forêt d’une rare beauté. Son élève Alexandre Petrov, le marionnettiste Pojar, mais aussi Jacques Drouin et Raoul Servais (qui s’inspire ostensiblement de la culture japonaise pour développer son poème sur la repousse des cheveux) font également partie de cette luxueuse distribution.
Jours d’hiver démontre la richesse de cette rencontre entre vieux maîtres et jeunes prodiges, et entre différentes cultures. Le film est suivi d’un documentaire sur la réalisation de ce projet, qui devrait permettre de l’intégrer à des activités pédagogiques pour les scolaires. Car tout ce qui fait le charme de ce film (l’absence de narration, la totale liberté de son écriture poétique et de sa mise en images) peut peut-être aussi le rendre un peu trop déconcertant.
© LES FICHES DU CINEMA 2007
