Synopsis
Commençons par une courte introduction : le travail a connu trois phases révolutionnaires. La première, dont la devise se réduisait à « Travaille et tais-toi » : le taylorisme, du nom de son inventeur qui voyait d’un très mauvais oeil toute dimension humaine dans sa mécanique infernale de production. La seconde, plus consciente de ce qu’elle a à y gagner, le fordisme, vient compléter la devise : « Travaille, tais-toi... et consomme ! ». La troisième phase, dite managériale, est plus sournoise qu’il n’y paraît : valorisant les ressources humaines, elle se fonde sur l’affectif, et réduit alors la devise à deux mots « Implique-toi ». Ce bref historique rappelé par le politologue Paul Ariès,
J’ai (très) mal au travail, plutôt que d’établir un comparatif entre ces périodes, s’attaque au coeur du présent : ces nouvelles formes d’organisation du travail, qui, en une dizaine d’années, ont placé le travail à la deuxième position dans l’échelle du bonheur, derrière la santé et devant la famille ou l’amour. Pourtant, elles ont produit dans le même temps un nombre considérable de pathologies (insomnies, cancers, dépressions). Comment, dès lors, expliquer que le travail soit devenu « un obscur objet de haine et de désir » ? Pour apporter des éléments de réponse à cette vaste question, Jean-Michel Carré a soigné son casting : psychologue, sociologue, psychanalyste, avocat, côté analystes ; cadre supérieur d’une multinationale, ancien agent de sécurité, ouvrières, syndicaliste, côté acteurs. La réunion de tous ces intervenants, de ces voix venues d’horizons très divers, semble confirmer que le phénomène est suffisamment établi pour que l’on s’en préoccupe. Depuis
Attention Danger Travail, en 2003, et
Ils ne mouraient pas tous..., en 2006, les choses semblent, en effet, s’agiter dans le cinéma sociétal. Le premier s’attachait à dénoncer la place prépondérante que le travail prenait sur la vie, en donnant la parole à ceux qui avaient décidé de s’en passer. Le second faisait état des pressions insupportables que l’entreprise fait peser sur ses salariés, tous postes confondus.
J’ai (très) mal au travail apporte un éclairage supplémentaire sur le mal qui ronge les travailleurs : pour la première fois, l’individu est réduit à une dimension économique. Via des méthodes managériales redoutables, allant de l’embauche d’individus malléables à un contrôle individualisé des performances, l’entreprise a réussi à imposer ses propres contraintes à ses salariés, qui, dépossédés de leur employeur, perdraient leur être social. Prise dans l’engrenage de la mondialisation, l’entreprise répercute ainsi un sentiment de peur dans la gestion de son personnel, s’attirant alors l’adhésion volontaire de ses salariés, et produisant du même coup banalisation de la souffrance et prolifération de conduites déloyales. Illustrées de morceaux de films (l’irrésistible
An 01) ou de publicités, les pistes de réflexion lancées dans ce documentaire élargissent l’horizon au domaine symbolique, celui de la représentation du bonheur, qui seule peut faire changer notre relation au travail.
© LES FICHES DU CINEMA 2007
