Synopsis
Le réalisateur s’appelle Andreï Nekrassov. Coïncidence : en 1955, J-P. Sartre commettait une pièce, une tache dans son oeuvre, «Nekrassov», où, s’appuyant sur l’»affaire Kravtchenko», il attaquait ceux qui dénonçaient le totalitarisme soviétique. «Il ne faut pas désespérer Billancourt», lâchait-il à la même époque du haut de sa condescendance ... Maintenant, il ne s’agit même plus de ne pas désespérer la classe ouvrière (d’autres s’en sont chargés !), mais de ne pas gêner les actionnaires et les stratèges des multinationales. Qu’importe que le dirigeant russe, qui vise le pouvoir à perpétuité, réhabilite Staline, et en restaure les méthodes avec la bénédiction de dirigeants occidentaux, dont le président français ! Dans ce film, le philosophe André Glucksmann, cette fois bien inspiré, évoque à juste titre la durable pesanteur autocratique russe, et les aveuglements que peut entraîner la fascination de notre héros pour la Russie. Alexandre (Sacha) Litvinenko, né en 1962, fut agent du KGB. Maintenant, cela s’appelle le FSB : la fonction est identique, et ce sont les mêmes hommes qui le dirigent, Poutine en tête. Sacha en a été colonel. Il craqua en 1998, dénonça les méthodes (corruption, assassinats ...) de son ex-service, fit de la prison et s’exila à Londres lorsque Poutine prit le pouvoir. C’est à ce moment que Nekrassov l’a approché, et a filmé ses témoignages : c’est pourquoi ce documentaire, montré dès le festival de Cannes 2007, put être monté très vite. Il est captivant pour qui est au fait de la réalité et de l’histoire russes. C’est aussi sa limite, car l’ensemble peut s’avérer difficile à appréhender pour les néophytes. De même, on peut reprocher à Nekrassov de prendre ouvertement le parti de Litvinenko. C’est, en fait, un faux procès : il s’agit d’un film-hommage à un homme devenu l’ami du réalisateur, et surtout d’un film militant. À l’évidence, Litvinenko a été assassiné en novembre 2006, sur ordre de Poutine, ou du moins de ses subordonnés. Un meurtre inédit : il s’agissait d’un empoisonnement par une matière radioactive ! Nekrassov construit, à partir des combats de Litvinenko, un réquisitoire impressionnant contre le régime de Poutine, qui repose sur une analyse aussi précise que solide. La longue durée dure ... Staline n’est pas mort. Une fois encore, dit Natalia Lazareva, la peur est présente : «elle l’a été à toutes les époques». La corruption aussi. Le mensonge d’État n’est pas l’apanage des dictatures, nous le savons ô combien dans nos fragiles démocraties, mais les totalitarismes l’ont érigé en système. C’est le cas avec Poutine, et les images du nouveau tsar ont de quoi glacer ! Ce n’est pas sans émotion qu’on revoit la grande journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée pour avoir attaqué Poutine et sa «politique» en Tchétchénie. Ce n’est pas sans émotion, non plus, qu’on découvre Litvinenko défiguré sur ce qui allait être son lit de mort, et la douleur digne de son épouse et de son fils, sur lesquels se clôt ce film à voir et à faire connaître.
© LES FICHES DU CINEMA 2008
