Synopsis
Au moment de la sortie de
Rois et reine, Mathieu Amalric en expliquait le titre en évoquant la volonté forcenée d’Arnaud Desplechin de faire la démonstration que nos vies sont des romans. Ce pourrait être une clé pour comprendre cette
Aimée, qui ressemble à un banal film de famille, mais qu’une vision romanesque semble perpétuellement vouloir aspirer dans son champ magnétique. Dès le début du film, Desplechin ouvre une perspective, pose une profondeur de champ en toile de fond de la chronique intime, sobre et apparemment plate qui va suivre. Il évoque sous le nom "l’aimée" une femme, ayant visiblement eu un rôle fondamental dans sa vie, et qui a disparu en 2004. De cette "aimée"-là, nous ne saurons rien de plus. Tout le reste du film va en faire passer une autre au premier plan : la mère du père d’Arnaud Desplechin, morte de tuberculose alors qu’il n’avait que 2 ans. Dès lors, le film adopte la forme d’un palimpseste. La caméra passe sur des surfaces (une maison, des rues, des histoires, des thèmes et des motifs) où sont inscrites des couches successives de temps, de noms, de figures féminines, de réalité et de fiction. Et naturellement, tout cela se mélange, se hante et se contamine. Les images apparaissent les unes sous les autres, remontent les unes sur les autres. Mais ce sont des jeux de transparence. À première vue, la surface est claire, dépouillée, presque austère. Le dispositif n’a jamais rien de spectaculaire : Desplechin interroge son père, se livre avec lui à l’exhumation (parfois fastidieuse) de documents personnels ou administratifs, avant leur rangement dans des cartons (car la maison familiale vient d’être vendue). Tout ce que le réalisateur rajoute sur l’enregistrement brut de ces échanges (une musique, un extrait de film...) peut sembler n’être qu’un humble procédé pour dynamiser un plan ou combler un manque. Mais rien n’est laissé au hasard. La musique de B. Hermann propulse la caméra embarquée dans une voiture pour aller à quelques rues de là. Elle fait entrer du mystère et ouvre une trape sur les perspectives distordues de Vertigo. Quant aux extraits de
La Nuit du chasseur, ils intègrent dans la trame du film les visions mythologiques de l’enfance. Et puis il y a ces petites astuces qui font également apparaître le filigrane. L’ambiguïté initiale entourant l’appellation "l’aimée". Mais aussi cette séquence où Desplechin prend son père en photo à l’endroit précis où, petit enfant, il avait déjà été photographié. Ou bien ce constat étrange que l’on fait peu à peu : le film ne parle que des femmes de la famille, mais n’en montre que les hommes : Arnaud, son père, son cousin, les deux fils de celui-ci. Tout cela n’est pas normal. Ce n’est pas simple. La photo de famille est truquée. Le cadre ne montre que l’absence de ce qui est hors champ. Et dès lors, la recherche de la vérité devra se poursuivre sur le chemin de la fiction. Ainsi au-delà de son premier degré très intime, presque excluant et ennuyeux, le film se jette dans un second degré universel et fascinant.
© LES FICHES DU CINEMA 2007