Synopsis
En 2000, le jeune cinéaste Jia Zhang-ke (né en 1970) avait convaincu avec Platform, évocation de la jeunesse du Shanxi, au nord de la Chine profonde. En 2006, ce fut le choc de Still Life (sorti en 2007), Lion d’or au festival de Venise, magnifique poème, mélancolique, dur et surréaliste à la fois, centré sur la démentielle réalisation du barrage des Trois Gorges. Avec Useless, Jia Zhang-ke renoue avec le documentaire où il s’illustra naguère. Bravo encore au distributeur français : Still Life se traduit par "nature morte", Useless par "inutile", ou "sans intérêt"... Mais un titre anglophone fait tellement plus chic, n’est-ce pas ? Qu’importe que le film soit chinois ! Useless se compose en fait de trois éléments distincts, de durées à peu près égales, dont la réunion peut sembler artificielle. Thème commun : le vêtement. Un sujet d’une actualité aiguë dans notre Europe occidentale où tous les malheurs de l’industrie textile sont mis sur le compte de l’Extrême-Orient asiatique. La séquence centrale, de loin la moins convaincante, est consacrée à l’art de Ma Ke, créatrice de Wuyong ("inutile"...), une marque de vêtements élaborés artisanalement. On découvre Ma Ke à Paris, où elle est venue présenter une collection, ses quasi-caprices de star plutôt condescendante. Quant à sa "philosophie", qui s’exprime dans une séquence où elle exige des sacs de terre meuble et sèche pour y enfouir ses vêtements afin qu’ils soient "marqués par la nature et le temps", elle laisse pantois. C’est toutefois la force des documentaires de Jia Zhang-ke : jamais une quelconque voix off n’y intervient pour orienter le spectateur... Le réalisateur lui-même, nous le retrouvons dans la première et la troisième parties. Le film s’ouvre sur la vision terrible (comme l’était celle du fordisme montré par Chaplin dans Les Temps modernes) : celle du travail morcelé, répétitif, harassant, dans de grands ateliers de confection de Ganzhou (Canton). Bruit, machines à coudre, bruit, repassage, chaleur, coupe, bruit... Jia Zhang-ke nous montre cela avec une maestria aussi discrète qu’efficace. Puis nous voici dans un réfectoire lugubre, et enfin dans un dispensaire où défilent quelques ouvriers épuisés. Mieux qu’un long discours : un document impressionnant sur la fascination des industriels chinois pour le capitalisme le plus sauvage et ses méfaits. Dans la dernière partie, Jia Zhang-ke retrouve le Shanxi et Fenyang, sa ville natale. Les mineurs, dont les conditions de travail évoquent «Germinal», les activités traditionnelles qui dépérissent. On suit le quotidien d’une réparatrice de vêtements, à qui un vieux mineur a confié son pantalon, celui d’une couturière, d’un tailleur qui sera bientôt expulsé. Un monde qui meurt, solidaire certes, mais que l’on aurait peine à regretter tant il est pauvre et précaire... s’il n’était appelé à être remplacé par un plus inhumain encore. Là aussi, Jia Zhang-ke expose les faits sans autre commentaire que ses angles de prise de vue, ses éclairages, ses cadrages. C’est tout simplement magistral.
© LES FICHES DU CINEMA 2008
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