Synopsis
Après deux documentaires consacrés à l’histoire de l’indépendance algérienne (
Un rêve algérien et
Algérie, mes fantômes), Jean-Pierre Lledo a voulu terminer sa "trilogie de l’exil" en se confrontant à la mémoire de la nation algérienne.
Algérie, histoires à ne pas dire tente ainsi d’analyser les tabous encore très présents (comme en témoigne l’annulation des projections du documentaire en Algérie) sur la cohabitation entre Pieds-noirs et Algériens avant la proclamation de l’indépendance, en 1962. Lledo adopte un procédé original : chaque partie est guidée par une personne qu’il accompagne dans une quête personnelle de la vérité. Aziz, quinquagénaire de la région de Skikda, se souvient de la disparition de vingt-trois hommes de sa famille, en 1955, dans les représailles de l’armée française après une insurrection de l’Armée de Libération Nationale. Il enquête sur son oncle, liquidé par le FLN pour avoir épargné des Pieds-noirs. Ensuite, Katiba, animatrice sur la radio d’État d’une émission consacrée à la mémoire, retourne avec Lledo dans le quartier populaire pied-noir d’Alger, où elle a grandi dans les années 1950. Elle y discute de la légitimité de la violence avec une ancienne moudjahidin. La troisième partie du film a été considérablement réduite après que son protagoniste principal a refusé d’être représenté. Le réalisateur y évoque Raymond, chanteur de musique andalouse juif, assassiné en 1961 à Constantine et oublié par l’Algérie d’aujourd’hui : il est absent des peintures où figurent les grands maîtres de la musique arabo-andalouse. Enfin, Lledo choisit un dernier personnage plus jeune, qui ne fut pas lui-même témoin de la guerre : Kheïreddine, un metteur en scène d’une trentaine d’années qui travaille sur une adaptation des
Justes de Camus. Il se rend à Sidi El Houari, le quartier de sa famille, à Oran, où Arabes et Espagnols se côtoyaient avant l’indépendance. Rencontrant des amis de ses parents, Kheïreddine enquête sur l’assassinat d’Européens, lors de l’indépendance, au bord d’un lac d’Oran. Il se heurte alors à de nombreux silences. Dans
Un rêve algérien, Lledo évoquait Henri Alleg, le directeur de l’"Alger Républicain", qui défendait une vision originale de l’Algérie indépendante, faite d’Arabo-berbères, de Juifs et de Pieds-noirs. Ici, il aborde aussi le souvenir de l’Algérie multiethnique d’avant 1962, où il existait des relations de respect et de partage entre toutes les communautés. Déplorant que l’Algérie n’ait pas réussi à conserver cette mixité culturelle, Juifs et Chrétiens ayant fui au moment de l’indépendance, il y voit la source des problèmes identitaires dont souffre aujourd’hui le peuple algérien. En choisissant de rester à échelle humaine, d’accompagner ses travaux de mémoire personnels, le réalisateur ne s’érige pas pour autant en donneur de leçon. Sa démarche se révèlera juste, sincère et véritablement intéressante pour tout spectateur qui acceptera de lui accorder son attention pendant presque trois heures...
© LES FICHES DU CINEMA 2008
