Synopsis
Les photos ont fait le tour du monde. Des prisonniers nus, la tête encapuchonnée, tenus en laisse, empilés en une pyramide qui n’a d’humaine que le nom ou branchés à des fils électriques. À leurs côtés, des militaires qui prennent la pose, sourires hilares et pouces levés. En tout, plus de 270 clichés, pris à l’automne 2003 dans la prison d’Abu Ghraib, qui ont explosé à la face du monde, révélant le vrai visage de la présence américaine en Irak. Avec ce nouveau documentaire, Errol Morris (The Fog of War) entend aller, au sens propre, au-delà des clichés. À première vue, malheureusement, SOP ressemble à un de ces magazines d’enquêtes dont la télévision américaine a le désarmant secret. Retour sur des faits divers, dramatisés à outrance, dans une alternance de témoignages-révélations et de reconstitutions chocs : de quoi plonger le téléspectateur dans un sentiment de confortable paranoïa... Formellement, donc, SOP s’en tient à ce niveau zéro de l’écriture documentaire. Côté reconstitutions, certains gros plans ou effets de ralentis ont quelque chose de véritablement indigeste. Côté témoignages, les militaires interviewés semblent pris dans une simple mécanique de mise en scène de leur propre expérience (l’un d’eux, tout à son show devant la caméra, imite carrément les accents des protagonistes et les sons ambiants). Cependant, à force d’insistance, Errol Morris réussit à dépasser le didactisme et le sensationnalisme annoncés. C’est qu’il ne s’agit pas d’un fait divers ordinaire. Les séquences s’enchaînent, jusqu’au vertige, revenant une à une, patiemment, sur les événements immortalisés par les sinistres photos d’Abu Ghraib. La prison y apparaît comme un lieu délabré, insalubre et vulnérable, véritable trou noir administratif dans lequel se perdent, sous la garde de jeunes engagés inexpérimentés et influençables, prisonniers de droits communs, pochtrons malchanceux et terroristes potentiels. Avec patience et ténacité, Errol Morris arrive à traquer, derrière les paroles de ses témoins, l’absurde réalité de la prison. Il en ressort une impression d’amateurisme et de laisser-aller qui laisse en bouche un goût nauséeux. La faute de ces soldats ? Avoir pris un petit peu trop de liberté par rapport à leur mission («ramollir»psychologiquement les prisonniers avant les «interrogatoires»menés par les services de renseignement). Et surtout, surtout, avoir pris des photos ! Au fur et à mesure des entretiens, à coups d’autojustifications bancales («on n’a frappé personne”), ils révèlent une forme sidérante de naïveté perverse, une horreur morale à ranger du côté de la «banalité du mal»d’Hannah Arendt et de la célèbre expérience de Milgram sur l’obéissance. Mais le plus troublant se dessine dans les creux du film, dans le hors-champ des photos : les fameuses SOP du titre (Standard Operating Procedure), à savoir toutes ces humiliations, privations, dégradations et harcèlements ordinaires qui relèvent de simples "procédures standard". Glaçant.
© LES FICHES DU CINEMA 2008
