Synopsis
Si sos brujo ("si tu es sorcier") est le titre original de ce beau documentaire. "Tu le feras si tu es sorcier" avaient dit musiciens, institutions, amis, à Ignacio Varchausky lorsqu’il se lança vers 2000 dans son projet assez fou et démesuré. Contrebassiste argentin passionné de tango, Ignacio commençait à désespérer face à la disparition progressive de la tradition de cette musique et à sa fossilisation. Son projet fut alors de réunir d’anciens maîtres du tango encore vivants, de retrouver ainsi leurs techniques instrumentales et les arrangements de leurs compositions, et de les mettre en contact avec un orchestre-école de jeunes musiciens constitué par Ignacio, qui perpétuera la richesse de leurs apports. Pour cela, il fallait un maître incontesté, une figure de proue du tango argentin. «Si sos brujo» est aussi le titre d’un tango d’Emilio Balcarce : le phare de l’entreprise, ce sera lui. Le film de Caroline Neal, documentariste états-unienne passionnée elle aussi d’Argentine et de tango et qui - séquence "people" ! - est devenue l’épouse d’Ignacio, débute par les difficultés rencontrées par celui-ci pour retrouver Balcarce, joueur de bandonéon et violoniste virtuose, compositeur depuis les années 1930 de tangos parmi les plus célèbres dans son pays («La Bordona»). Il le retrouve enfin, promenant ses chiens en compagnie de son épouse, puis est reçu chez eux. Emilio se sent vieux (toujours fringant, svelte et malicieux, il a, il est vrai, à ce moment... 87 ans !), mais finit par accepter la proposition. Dès lors, se reconstituent, avec simplicité, empathie et chaleur, les six années de concrétisation du projet, des premiers pas de l’orchestre El Arranque au concert triomphal dans le mythique Théâtre Colón de Buenos Aires, via Paris, avec des invités virtuoses. Au fur et à mesure, l’orchestre se constitue et se renforce, recrute hors Argentine (très belle séquence de la première audition de la timide violoniste belge Eva Wolff, qui en deviendra un pilier). Emilio Balcarce rajeunit à vue d’oeil, même si sa surdité croissante l’inquiète profondément. Ignacio retrouve des partitions, transcrit des arrangements à la complexité redoutable... D’autres vétérans se joignent à l’aventure : J. Libertella, V. Lavallén, A. Stampone (vu dans le récent Café de los maestros [v.p. 132])... L’orchestre retrouve des phrasés oubliés : autre séquence passionnante, la redécouverte du coup d’archet de contrebasse nécessaire pour «La Yumba» d’Osvaldo Pugliese, qui sera le clou du concert du Théâtre Colón... La tentation serait grande de voir en cette Histoire du tango une sorte de Buena Vista Social Club argentin : certains l’ont déjà écrit lorsqu’il remporta le Prix spécial du jury aux Rencontres des cinémas d’Amérique latine. Le film de Caroline Neal est plus encore : une mise en images qui pousse à la réflexion sur la nécessaire transmission. "Le grand homme n’est jamais aérolithe" écrivait Baudelaire. Le grand musicien non plus. Et la musique que ce film nous offre est tout simplement magnifique.
© LES FICHES DU CINEMA 2008
