Synopsis
Le silence après Mozart est encore de Mozart. Mais à qui attribuer le silence avant la musique de Bach ? Le titre énigmatique de ce film reflète bien l’univers hors norme de Pere Portabella. Ce metteur en scène espagnol, qui va fêter ses 80 ans, fait partie de ces francs-tireurs du cinéma, qui réalisent un film tous les dix ans et en produisent d’autres tout aussi sporadiquement. C’est que, parallèlement à ses activités cinématographiques, Portabella a mené une carrière politique : il a été un fervent opposant au franquisme puis élu de la gauche catalane à la fin de la dictature. Son cinéma est engagé, sur la forme comme sur le fond. Il a ainsi dénoncé la dictature du "caudillo", tout en déconstruisant les structures narratives traditionnelles dans des films comme El Sopar (1974) et Informe general (1976). Il revient donc, près de vingt ans après son dernier opus (Le Pont de Varsovie), avec, cette fois, une proposition autour de la musique de Jean-Sébastien Bach. Construit comme une partition, Le Silence avant Bach se compose de séquences indépendantes qui sont autant de variations autour d’un thème central : l’évocation de Bach et la survivance de son oeuvre jusqu’à nos jours. En prélude, un piano mécanique jouant du Bach affronte la caméra dans des pièces vides. Puis, un accordeur aveugle, accompagné de son chien, règle, corde par corde, un piano à queue noir. On entre dans le vif du sujet aux côtés de deux routiers espagnols devisant à la fois de leur métier et de la musique de Bach, qu’ils interprètent ensuite à l’harmonica et au basson. À cette entrée en matière déconcertante, succède une séquence en costumes. Nous sommes en 1723, le nouveau cantor de Leipzig vient de prendre ses fonctions. Décrit comme un homme "croyant et musicien", Jean-Sébastien nous est montré dans ses appartements, enseignant à son fils à "chercher la pureté de la musique, avec la paix et la force de Dieu. "Et si tu es honnête, ta musique le sera, et elle sera pleine d’équilibre et de beauté". Ainsi va le film, offrant en toute liberté les visions de Portabella comme autant de variations sur cette musique qui cherche juste à "plaire à l’ouïe et à satisfaire l’esprit". C’est au spectateur de construire son propre film à partir de ces propositions. Certaines sont très belles, des poèmes visuels, puissants et évocateurs. Tel ce métro, serpentant dans les souterrains, où des voyageurs installés dans la rame interprètent une suite. Ou la chute vertigineuse de ce piano sombrant dans les eaux d’un fleuve. Beauté et destruction sous-tendent la culture européenne, nous dit Portabella. Le vocabulaire musical s’impose pour commenter son film qui semble préférer le mode mineur. Sans chercher le crescendo ou le point d’orgue à tout prix. La musique du grand compositeur sert de fil conducteur. Il n’y a qu’à se laisser porter par cette évocation, profonde et pleine de fraîcheur.
© LES FICHES DU CINEMA 2008