Synopsis
À la genèse de ce film, il y a le constat d’une contradiction primordiale : Chomsky est l’intellectuel le plus populaire et le plus cité au monde, mais il n’a pourtant fait l’objet que de brèves interventions sur les ondes de Radio France, dans les années 1970. En 2007, Daniel Mermet consacre alors plusieurs heures de son émission radiophonique "Là-bas si j’y suis" à l’universitaire américain. Et le succès de ces entretiens le conduit à monter un film, avec le journaliste engagé - et dégagé de toute dépendance -, Olivier Azam (cofondateur de la chaîne libre Zalea TV et d’une coopérative de production et de distribution cinématographiques, Les Mutins de Pangée, et auquel on doit le très inégal
Désentubages cathodiques, 2005). L’objectif de ce documentaire est avant tout de rendre accessible la pensée de Chomsky. Il convient donc de ne pas s’attacher à l’aspect fauché de l’oeuvre. Car
Chomsky & Cie est le prototype de ces documentaires dont on dit "c’est un film nécessaire, mais ça n’est pas du cinéma". Passons donc sur le son (très mauvais) et l’image vidéo (un peu "cheap"), et intéressons-nous au fond. Composé de neuf chapitres, le documentaire vise à la fois à raconter l’évolution de la pensée du célèbre linguiste, et à en mesurer la force de réflexion sur le présent. Des images d’archives se mêlent ainsi à des images d’actualité, appuyées par les témoignages d’intellectuels proches du "réseau Chomsky" (le Belge Jean Bricmont ou le Canadien Normand Baillargeon). La construction de l’ensemble est un peu difficile à suivre car ces images agissent comme des satellites autour du fameux entretien radiophonique, auquel elles font parfois de l’ombre. Mais, les démonstrations égrenées sur la route des documentaristes sont souvent claires et pertinentes. Ainsi la controverse opposant Chomsky à Pierre Vidal-Naquet : l’Américain ayant soutenu un virulent révisionniste menacé d’être bâillonné, il est pratiquement soupçonné lui-même de révisionnisme. Or, répond Chomsky, qu’est-ce que la liberté d’expression, si celle-ci "se limite aux questions qui nous conviennent" ? De même, alors que le théoricien a fondé son travail sur l’analyse des mécanismes idéologiques dominants, il lui est reproché son anti-américanisme dans sa prise de position pour le Timor au moment où tous les intellectuels français ont les yeux braqués sur le Cambodge. L’idée la plus stupéfiante et instructive que fait apparaître ce documentaire est là : les intellectuels rejoignent souvent l’opinion publique, qui est elle-même sous l’emprise des pouvoirs en place. Et, dans les démocraties, cette sorte de "pensée unique" n’est en aucun cas imposée par la force ou toute autre pression, elle est induite par le milieu (merveilleuse séquence où des journalistes français jurent qu’ils sont libres comme l’air !). En somme, cette constellation d’images de bric et de broc aura permis de résumer cette idée toute bête de "Chomsky l’insaisissable" : les choses sont à penser. Pas si mal, non ? Ch.R.
© LES FICHES DU CINEMA 2008
