Synopsis
Si, à brûle-pourpoint, il devenait nécessaire d’indiquer de quel genre cinématographique relève Puisque nous sommes nés (documentaire ou fiction ?) il faudrait, tant l’un et l’autre sont indémêlables, esquiver la question et prendre la tangente pour s’en aller chercher du côté du fado, ce blues chanté en portugais, puisque le film de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana s’écoute autant qu’il se regarde. Dans le Nordeste, au Brésil, deux poulbots de 13 et 14 ans, Cocada et Nego, fils et petits-fils de déshérités, pauvres de toute éternité, vivotent aux alentours d’une gigantesque station-service, centre névralgique vibrionnant de poids lourds qui sillonnent le pays tout entier. Vladimir et Estragon en culottes courtes, ils partagent un objectif : survivre, un rêve : partir. Mûris trop tôt et trop vite, ils s’interrogent avec des mots simples et profonds sur le sens de leur existence, rédigent, d’une voix qui n’a pas encore mué, le llivre de l’intranquillité" que leur dicte leur condition. Cocada veut devenir conducteur de camion. Passé maître en débrouillardise, il vit de petits boulots, de maigres expédients, rend de menus services, résiste sans faiblir à la tentation de la rapine, de l’argent mal acquis et, la nuit venue, dort dans la cabine d’un camion. Nego, dont le beau-père façonne des briques de terre cuite au soleil, vient, de son côté, d’une favela où, entouré d’une nombreuse fratrie, il travaille aux champs. Chaque soir, il retrouve Cocada à la station, se laisse éblouir par les vitrines éclairées où s’étalent toutes sortes de marchandises, une nourriture abondante. Et inaccessible. On ne saurait cependant se méprendre sur l’intention des cinéastes, aux yeux desquels il s’agissait moins de s’épancher sur les formes endémiques de misère d’un pays en voie de développement que de s’attacher à une histoire immémoriale : celle d’êtres qui ne cherchent rien d’autre qu’une place sur la terre. Ingénieur du son, Duret a travaillé pour les frères Dardenne, Pialat, les Straub... Si cette expertise garantit, en principe, que l’environnement sonore du film a bénéficié de toute son attention, cela signifie davantage encore que des propositions de cinéma nous seront faites par la grâce du travail sur le son. On en prendra pour exemple le surgissement, tout à fait inattendu, de Lula qui, en pleine campagne électorale, vient prononcer sur l’aire de la station un discours de candidat. Ainsi, la langue du politique vient-elle se frotter à la langue poétique des deux enfants : électrochoc sonore d’une grande force. Pour ne rien cacher au lecteur, Puisque nous sommes nés a l’apparence d’un miracle. Inextricablement liées l’une à l’autre, la partie écrite du film (des dialogues dont on ne sait de quelle patience de guetteur ils sont le fruit) et la partie documentée (la fabrication à la main de briques en terre séchée) font de ce film un objet absolument unique, de surcroît magnifiquement filmé et cadré, dont la mise en scène - son amplitude - devrait conduire à repenser les rapports entre fiction et documentaire.
© LES FICHES DU CINEMA 2009
