Synopsis
Patiemment, Luc Moullet construit deux oeuvres passionnantes. Il a en effet deux casquettes, celle de critique et celle de cinéaste, ce qui ne doit pas être si facile car c’est assez peu courant. Chose amusante, le critique Moullet parle avec pertinence du cinéma du réalisateur Moullet en écrivant sur les films de Ford, Fuller... Et ce, parfois de façon prémonitoire, ayant signé certains textes des années avant même d’être passé derrière la caméra. Ainsi, en 1957, il déclare, à propos de Cote 465 de Mann : "La discrétion de la mise en scène qui recherche avant tout l’efficacité d’un simple et unique détail, là où d’autres préfèrent la dispersion d’intérêt, réussit à nous imposer sa force". Cette caractéristique de son cinéma - la concentration sur un événement dans un plan ou une séquence - se retrouve encore ici avec, certes, une exception notable : une digression sur King Vidor de l’enquêteur Luc Moullet. Car ce dernier interviewe des témoins, directs ou indirects, d’accès de folie meurtrière. Tous ont eu lieu dans une région des Alpes du Sud, dont est originaire la famille de Moullet. Celui-ci nous la présente (carte à l’appui, car il est toujours d’une extrême précision dans ses films) comme ayant la forme d’un pentagone. En 1900, l’un de ses cousins a tué à coups de pioche, le maire, sa femme et le garde-champêtre. Selon un docteur interrogé, la malnutrition a fini par entamer l’équilibre mental des paysans, très pauvres, de cette terre de la folie. Même lorsque l’alimentation s’est améliorée, leur descendance a aussi été affectée, car elle a été "élevée par des gens ralentis par l’hypothyroïdie". Un boucher a reconnu, après avoir fait un bon repas, avoir tué puis dépecé sa fille. Sans jamais un mot plus haut que l’autre, Moullet passe en revue ces cas de folie violente, les situant géographiquement avec exactitude dans le fameux pentagone. Imperturbablement (sa "Politique des acteurs" est d’ailleurs une défense de l’"underplaying") : "Le style de jeu et de diction simple et monocorde (...) se trouve donc coïncider parfaitement avec le principe du film parabolique et celui de la répétition, ici d’un irrémédiable maelströmien, particulier à un sujet exempt dans sa presque totalité de toute progression" (sur L’Ange exterminateur de Buñuel, en 1963). Sont énumérés au cours du film - le cinéaste a toujours été dingue de l’énumération - les facteurs qui ont poussé certains à prendre à la lettre une exigence intérieure de meurtre : vent incessant, grande solitude... Comme à son habitude, Moullet nous fait pouffer grâce à "un humour fondé sur l’ambiguïté" car "il fait semblant d’épouser tous les points de vue" (sur Samuel Fuller, en 1959). Pour approcher et décrire la folie, un savoir-faire digne d’un géomètre est nécessaire. Moullet n’en manque pas et le démontre ici avec art.
© LES FICHES DU CINEMA 2010