Synopsis
Dans un appartement mué en studio d’enregistrement (et de tournage), une actrice prépare, entourée de musiciens, son second album de chansons. Filmées dans la pénombre, les répétitions se succèdent au fil des jours, parfois interrompues pour laisser place à ses cours de chant lyrique, ou bien à la pièce de théâtre dont elle est chaque soir la vedette. Avec Ne change rien, Pedro Costa reprend un principe que Jean-Luc Godard comprenait comme la vocation première du cinéma : filmer le travail au travail. Godard avait ainsi appliqué ce principe dans One + One, où il s’agissait de filmer quelques séances d’enregistrement des Rolling Stones, et dans Soigne ta droite, où l’on voyait à l’oeuvre les Rita Mitsouko. Ici, la chanteuse s’appelle Jeanne Balibar. Elle est l’icône d’un cinéma français littéraire et racé, encore tout empreint d’une tradition séculaire héritée du théâtre. Bref, Balibar est une marque, une franchise, du luxe français l’une des ambassadrices. Poussée par le vent de la musique et de nouveaux défis, en phase avec le spectaculaire embourgeoisement du rock, cette amie des poètes et des musiciens - Pierre Alferi, Olivier Cadiot, Rodolphe Burger... - a signé un premier album enthousiasmant, enchaîné les prestations scéniques, s’est laissée filmer par Olivier Assayas au cours d’un concert donné à Saint-Brieuc (Noise). Au moment où elle abordait un second album, Pedro Costa, cinéaste portugais à l’oeuvre austère, a manifesté le désir d’en filmer les séances préparatoires. Il en résulte un film documentaire, un acte de foi dans le cinéma, dans sa faculté à brosser des portraits. Bien que sonore, Ne change rien partage avec le cinéma muet sa capacité à déchiffrer l’âme, à montrer un visage comme s’il s’agissait d’un paysage, à se faire le greffier des minuscules variations climatiques auxquelles il est sujet. Dans un Noir & Blanc de film noir, le cinéaste ne lâche pas la chanteuse pour enchaîner de longs plans-séquences dont la durée semble davantage dictée par l’espoir qu’advienne quelque chose que par celui de nous laisser le temps de la voir. Et la magie opère. Si Ne change rien est un film de cinéma, c’est aussi parce qu’il met en scène une star, jette sa patente maladresse musicale en pâture, ses tâtonnements, ses laborieux ajustements, ses difficultés à répondre aux demandes et recommandations de Rodolphe Burger (le maître d’oeuvre du projet musical) comme s’il s’agissait de mettre son image en danger, de la faire trembler ou vaciller, d’en montrer la vulnérabilité. Ne change rien s’apparente à part égale à un travail de réassurance où mettre en danger son image revient précisément à s’authentifier comme star, se montrer vulnérable, c’est légitimer son statut. En ce sens, Ne change rien doit beaucoup à Jeanne Balibar, à son charme, dont elle joue si habilement, à sa silhouette gracile, à ce visage où se reflètent à la fois le plaisir et l’inquiétude, la crainte de faillir et l’envie d’être aimée.
© LES FICHES DU CINEMA 2010
