Synopsis
R.J. Cutler a passé huit mois dans les coulisses du Vogue US, à suivre la fabrication du numéro de septembre. Si Vogue est une institution, ce numéro-là est la référence incontournable qui réunit toutes les tendances de l’année à venir, car l’année nouvelle de la mode commence toujours en septembre. Le personnage central du film, Anna Wintour, rédactrice en chef du magazine depuis vingt ans, est très à l’aise dans son rôle de maîtresse de cérémonie aussi crainte que vénérée. C’est qu’elle domine une industrie estimée globalement à 300 milliards de dollars ! Elle est ainsi courtisée entre toutes les stars et son look (coupe au carré, lunettes noires) lui assure de se distinguer, au premier rang des défilés de la semaine de la mode, de capitale en capitale. Elle fait et défait les carrières, et a inspiré Le Diable s’habille en Prada... Pour Cutler, elle se plie au jeu des confidences, évoque son père journaliste, sa jeunesse et ses débuts à Londres. Surtout, elle paraît baisser sa garde, en se laissant filmer dans l’intimité, avec sa fille. De retour au bureau, devant une caméra tenue à distance respectueuse, elle se mue en femme d’affaires, redoutable et sans concession. Le numéro de septembre prend forme au fil des mois, des shootings, et des propositions de Grace Coddington, la directrice de la création (qui a commencé chez Vogue en 1988, en même temps qu’Anna). Le cinéaste explore le lien ténu qui les unit. Grace apparaît comme l’antagoniste d’Anna, et raconte comment elle a su se rendre indispensable. Une alchimie est née entre elles, même si des conflits couvent parfois. Elles se défient avec diplomatie. Les grands créateurs se disputent la présence de la rédactrice en chef au moment du choix des modèles pour les défilés. Elle dispense généreusement ses avis et prend parfois un couturier sous son aile, comme le jeune Thakoon (qui est devenu si célèbre qu’il habille aujourd’hui Michelle Obama !). Le rythme du film s’accélère à mesure que le bouclage approche. À une semaine de la parution, la pression est à son comble : Anna refuse un "photoshoot" que Grace pensait validé. Lors de la nouvelle séance photo, elle décide de faire participer R.J. Cutler, en le mettant en scène face à un mannequin. C’est ainsi que le corps du réalisateur, qui cherchait sa place au début du film, passe soudainement au centre. L’irruption du réel dans le monde de l’illusion détonne : la coexistence du corps d’une modèle sophistiquée à outrance et d’un autre corps, banal et sans prétention, pointe peut-être ce qui faisait dire à Anna : "Il y a quelque chose avec la mode qui peut rendre parfois les gens très nerveux". Certains voudraient gommer le ventre de Cutler, jugé trop rond... Mais Grace s’y oppose fermement : elle tient à ce semblant de vérité. On pourra regretter alors que le réalisateur ne soit pas allé plus loin dans ce rapport du vrai au faux, comme s’il n’avait pas osé écorner l’image, entretenue par Anna, d’une vie semblabe à un roman-photo...
© LES FICHES DU CINEMA 2009
