Synopsis
Comme toutes les grandes stars, Louise Bourgeois est un être paradoxal. Et c’est une star. Cette artiste internationalement reconnue a toute sa vie créé des objets (en marbre, en plâtre, en tissu) et des installations (telle "Red Room", la chambre rouge) en lien étroit avec sa psyché, sans pour autant basculer dans l’exhibitionnisme. OEuvre tapageuse pour artiste discrète, donc : l’art parle pour soi, peut-être même par-delà soi. C’est ce que l’on nomme également la "mémoire involontaire", où passé, présent et futur tissent des liens inconscients, à l’image de la célèbre sculpture d’araignée, nommée aussi sobrement que mystérieusement "Maman". Louise Bourgeois est certes un mystère, mais tout son travail montre finalement que les secrets n’ont, en eux-mêmes, rien de précieux : ce qui est d’une richesse infiniment supérieure, c’est de ne pas les garder pour soi, c’est d’en faire quelque chose, en l’occurrence les détourner en leur donnant une fonction artistique. Ainsi dit-elle : "Mes émotions sont trop grandes pour moi, alors elles m’embêtent et je dois m’en débarrasser. Mes émotions sont mes démons". Le documentaire qui lui est consacré ici tente de transcrire cette incroyable liberté de Louise Bourgeois. Les deux réalisatrices - très concernées, voire, comme l’avoue Amei Wallach elle-même, "magnétisées" par la personnalité de l’artiste - signent un portrait à la fois d’une évidente complicité et d’une indéniable érudition. Tourné à partir de 1993 et jusqu’en 2006 (Marion Cajori décédera en 2007), le film procède par touches, mêlant deux niveaux de lecture : celui de l’intime, puisque nous suivons l’artiste dans son travail ou en famille ; et celui de la création pure, puisque les oeuvres sont filmées longuement et en détail. Louise Bourgeois s’exprime très librement sur sa vie et son art, livrant quelques phrases d’une fulgurance péremptoire. On peut, par exemple, citer celle-ci : "L’art est une garantie de santé mentale. C’est la définition du libre-arbitre". Mais, accolés aux images des oeuvres qu’elle a fabriquées, en y consacrant parfois des années, ces mots sonnent finalement de façon moins autoritaire. Si l’on vante la grandeur de son esprit et si elle est devenue une icône pour le mouvement féministe, c’est avant tout parce que Louise Bourgeois s’est questionnée, et que ses oeuvres portent ces questions, les transmettent et restent ouvertes à diverses interprétations possibles, au surgissement d’émotions désordonnées. Il en est ainsi de la maternité, du rapport à l’autre, du corps, de la torture, de la trahison. C’est par ce dialogue entre une artiste et son art, entre une femme et ses traumatismes, que le travail de Louise Bourgeois atteint une forme d’universalité et que ce document se révèle passionnant. Les révélations égrenées au fil de ce long tournage sont alors presque anecdotiques, car on pourrait dire qu’elles sont banales. Mais elles sont transcendées par une position d’artiste et de femme, qui est loin d’être une posture.
© LES FICHES DU CINEMA 2009
