Synopsis
Dominique Marchais était peut-être de ceux qui, en empruntant l’autoroute au milieu de la Beauce, déplorent la monotonie du paysage. Il a donc décidé d’aller courir la campagne afin d’essayer de comprendre pourquoi les haies et les petits chemins sentant bon la noisette se font de plus en plus rares, et disparaissent au profit de grands champs de colza ennuyeux ou de mers d’épis de blé. Il a aussi voulu savoir quand et pourquoi le petit agriculteur qui traînait sa vache et son pot à lait a un jour décidé de ne plus se satisfaire de son terrain pour entrer dans l’ère industrielle et cultiver des centaines d’hectares. Le réalisateur a donc visité plusieurs régions afin de recueillir, dans un premier temps, les témoignages des intéressés, pour ensuite les confronter aux points de vue de scientifiques, d’économistes, d’un écrivain, et surtout à notre propre point de vue de spectateur. En choisissant d’emblée de construire son film autour d’un motif aussi simple que la disparition des haies, Dominique Marchais parvient à reconstituer l’histoire du paysage agricole français, dans son sens le plus littéral. Et littéraire puisque nous apprenons que, si la Beauce est si uniforme, la faute en revient à Pantagruel, dont la jument balaya tous les arbres de la région, à la grande satisfaction de son maître ("Beau-ce !"). Le film confronte les points de vue d’une agriculture protéiforme, de l’éleveur qui parle du lait comme d’un "minerai" à celui qui tient à préserver ses spécificités cantonales, et explique que si ses vaches ne sont pas les mêmes que celles de son voisin, c’est parce que celui-ci habite en bas du village, donc en dessous du ruisseau qui fait office de mer rouge entre le Berry et le Limousin. Ailleurs, c’est un groupe de paysans retraités qui évoque l’agriculture d’après-guerre, lorsque son intensification au profit du rendement était conçue comme un acte patriotique, une période de grâces. Ce sont les mêmes qui estiment avoir été dupés, et avoir commis des erreurs en ne prenant plus en compte ce que les agronomes et les microbiologistes viennent peu après raconter : la mort des sols dans lesquels plus aucune espèce vivante ne vient s’abriter et qui ne se régénère plus grâce au bois raméal fragmenté que produisaient naturellement, justement, les haies. Ou comment les préoccupations paysagistes des néoruraux nostalgiques viennent rejoindre celles, scientifiques et pratiques, de la fertilité des sols. Le film évoque les erreurs et les solutions, mais surtout, à partir de ce prétexte trivial, il interroge la relation que nous entretenons avec le monde agricole, et notre propre responsabilité, qui va bien au-delà du "manger bio". Les interlocuteurs sont passionnés, et passionnants. Souvent même touchants. Enfin, le récit parvient à créer un rythme qui laisse le temps au spectateur de réagir, de s’interroger, de mieux comprendre, sans pour autant avoir l’impression de devenir la cible d’un discours unilatéral ou pompeux. À voir et méditer, donc.
© LES FICHES DU CINEMA 2010
Réalisateur