Synopsis
De 1940 à 1944, se faisant la complice du gouvernement de Vichy, lui-même complice du IIIe Reich, la SNCF a directement participé à la déportation de 76 000 Juifs (dont 11 000 enfants), 20 000 tziganes et 38 000 résistants, en fournissant les wagons, l’infrastructure, le savoir-faire et... le personnel. Reprenant l’enquête qu’il avait publiée en 2005 sous le même titre, Raphaël Delpard s’interroge dans ce documentaire sur l’organisation, la responsabilité et les motivations de la SNCF. Entretien après entretien, vérification après vérification, passant des grands dirigeants de la compagnie ferroviaire aux simples cheminots, s’attardant sur un compte-rendu de réunion sans équivoque - de grands commis de l’État prenant l’initiative de conduire femmes, enfants et vieillards dans des wagons à bestiaux bondés, dépourvus d’eau et d’hygiène - ou sur des témoignages de déportés, il va traquer l’humain par-delà les grands chiffres, par-delà les sigles globalisants. Car, au fond, de qui parle-t-on, de quoi parle-t-on, quand on évoque de façon générale la responsabilité de la SNCF ? Et surtout, comment lever objectivement le voile sur cette honte quand l’Histoire elle-même, magnifiant a posteriori la "bataille du rail", a fait de tous les ouvriers du rail, sans exception, d’authentiques résistants ? En fait, la réalité était tout autre et la bataille en question n’a concerné que 10 % de cheminots-résistants. Autre révélation : un seul conducteur a refusé de conduire un de ces convois. Un seul : Léon Bronchart, qui a été immédiatement déclassé par sa direction. Pour autant, par-delà ses révélations-chocs, le documentaire refuse toute polémique. Le regard critique et impartial qu’il porte sur cet épisode permet même une approche équilibrée et en tout point appréciable. Si le réalisateur explique avec quel zèle la direction de la SNCF s’est lancée dans l’opération dans l’unique but de maintenir son monopole (la société ferroviaire a continué les transports de déportés jusqu’en août 1944, alors même que l’armée allemande fuyait le pays et que la majorité du territoire français était libéré), il rappelle aussi qu’aucun ordre n’est venu des organisations de la Résistance, ni de la direction gaulliste ni de l’appareil communiste, pour tenter d’arrêter, de freiner ou de détourner les convois. Riche, détaillée et inédite, cette enquête aurait toutefois mérité une forme moins académique, plus cinématographique, en un sens. Le lien entre les témoignages est assuré par des reconstitutions dont le ridicule involontaire a quelque chose de véritablement choquant. Et le commentaire en voix off adopte par moment un ton professoral des plus irritants. Document passionnant à défaut d’être pleinement un documentaire, Les Convois de la honte n’en demeure pas moins une oeuvre courageuse et indispensable.
© LES FICHES DU CINEMA 2010
