Synopsis
Arrivée de sa forêt natale de Bornéo en 1972 à la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, Nénette est une femelle orang-outan d’environ 40 ans. Son ancienneté (et sa longévité), sa personnalité, sa vie, en font une des vedettes incontestée des cages de ce lieu devant lesquelles défilent chaque année quelque 600 000 visiteurs. Elle a connu tout jeunes les soigneurs qui se sont relayés auprès d’elle au long de son existence. Compagne successivement de trois mâles, et mère de quatre petits, dont le dernier, Tübo, vit maintenant avec elle, elle cohabite avec une autre orang-outan, Théodora, et sa fille. Du haut de ses perchoirs et cordages, sommaires fac-similés des arbres et lianes de sa jungle, Nénette, lointaine, semble toiser les humains qui se pressent devant la cage pour la regarder manger, se balancer distraitement, se déplacer avec économie, dormir ou rêver. C’est son regard, enfoui sous sa frange de longs poils roux, son acuité derrière l’apparente vacuité, cette sorte de présence absente qui ont saisi le documentariste singulier qu’est Nicolas Philibert (Le Pays des sourds, Être et avoir...). Prévu d’abord pour un format court, le film s’est installé dans une durée d’observation et de réflexion auquel le dispositif adopté par le cinéaste donne toute sa profondeur. N. Philibert a choisi de placer sa caméra contre l’épaisse vitre qui clôt la cage, à l’exacte interface entre singes et humains, ne captant des premiers que leurs mouvements silencieux et des seconds que leurs propos. Seuls des reflets font fugacement apparaître quelques visages flous ou des arbres "vrais" du jardin. Hors champ, donc, se déploient les paroles des visiteurs : enfants étonnés, curieux, rarement moqueurs, accompagnés de parents ou d’enseignants, adultes goguenards ou touchés, touristes étrangers... Tandis que Nénette vit, exposée à tous, Philibert la filme en plans fixes, la suivant parfois par de légers mouvements de caméra ou zoomant sur ses mains, son visage. Ainsi, il induit en quelque sorte un autre film : celui que Nénette pourrait faire de l’autre côté. Outre les réflexions spontanées des visiteurs, le réalisateur recueille devant la cage les paroles des soigneurs qui déroulent leur histoire avec Nénette, les rapports d’affection et de tensions. Nénette n’a sans doute pas toujours été aussi placide, comme en témoignent les griffures qui marquent une porte. À l’heure de la fermeture, bruits de clefs et de grilles évoquent un univers carcéral. Le comédien Pierre Meunier, dans un long monologue final improvisé, appréhende et synthétise l’ensemble des questionnements soulevés : voyeurisme, culpabilité, identification... Tout en sachant que la captivité protège de la disparition nombre d’espèces comme les ourang-outans, décimés par la déforestation et le braconnage, on ne peut s’empêcher de ressentir un malaise, voulu, devant ce remarquable documentaire. Nénette, objet de projection de notre incurable anthropocentrisme, reste durablement dans nos esprits.
© LES FICHES DU CINEMA 2010
