Synopsis
Amos Gitai, est, on le sait, l’éternel poil à gratter de la société d’Israël. On salue son courage, son talent et sa clairvoyance quand il dénonce, avec acuité, les réalités géopolitiques du Moyen-Orient. En revanche, et c’est hélas le cas dans ce documentaire, on s’impatiente légitimement quand il abuse de considérations narcissiques dont on n’est pas certain qu’elles nous concernent toutes. Du fatras qu’est ce Carmel émane parfois une poésie singulière, entre journal intime et méditation philosophique, mais le prix à payer est élevé. Car, pour quelques instants de grâce, il faut supporter d’interminables et vaines reconstitutions épiques, notamment un récit de la prise de Jérusalem par Titus, ainsi que des extraits de fiction sans grand intérêt autre que purement esthétique. Carmel est un mariage de souvenirs, historiques (l’accident militaire durant lequel son camarade fut tué et lui blessé, événement fondateur de son investissement dans le cinéma), matériels (les photos commentées par Jeanne Moreau), sentimentaux (l’évocation de sa mère), de la vie du cinéaste, qu’il confronte à l’histoire d’Israël, dont le réalisateur de Kippour est, par son âge, pratiquement contemporain. Le projet, ambitieux, s’avère laborieux et finit par décontenancer le spectateur. Cette toile d’événements désordonnés, fragments d’une histoire douloureuse, se tisse autour de la personnalité fascinante d’Efratia Gitai, figure tutélaire du film. Née à Haïfa au début du XXe siècle, engagée très tôt dans le mouvement sioniste, elle a laissé plus de mille lettres, dont quelques-unes sont ici lues par la femme du réalisateur. Son fils raconte une femme indépendante et cosmopolite qui, en Europe, dans les années 1930, découvre le "génie de Chaplin", se passionne pour l’éducation, s’intéresse à Freud et à la "médecine de l’âme", s’effraie aussi, très vite, de la crise, du chômage, de la famine. Une femme qui, de retour sur sa terre natale, devenue l’épouse d’un architecte du Bauhaus, verra mourir son premier enfant en bas âge, traversera la Seconde Guerre mondiale en pensant que "le monde est maudit", assistera à la création d’Israël puis aux conflits incessants entre Juifs et Arabes - le problème palestinien reste fondamental dans ce film encore -, regardera les hommes "se battre, vaincre, être vaincus"... et tentera vaille que vaille de continuer à vivre. Dommage sans doute que Gitai n’ait pas resserré plus avant son travail sur cette superbe et imposante figure. Le film aurait gagné en simplicité et en émotion. Il ne reste finalement, et c’est là sans doute la raion d’être même de ce travail, que le lancinant désir d’aller à la rencontre de cette femme. Car on comprend malgré tout que sa personnalité singulière, fine et sensible, aura nourri, tout au long de sa vie, les grandes lignes de l’oeuvre cinématographique d’Amos Gitai. Mais ce travail de mémoire, disséminé dans un puzzle de genres, de thèmes et d’autant de voix, ne lui rend pas l’hommage souhaité.
© LES FICHES DU CINEMA 2010