Synopsis
Film commandé par le gouvernement chinois au cinéaste Jia Zhang-ke (Lion d’Or à Venise avec Still Life en 2006), I Wish I Knew est un portrait composite de Shanghai, ville qui accueillait l’exposition universelle de 2010. En dix-huit témoignages entrecoupés d’extraits de films (La Chine de Michelangelo Antonioni, Les Fleurs de Shanghai d’Hou Hsiao-hsien...), d’images de la ville en pleine mutation et d’une étrange fiction à valeur symbolique (un "ange blanc" aux traits féminins traverse les rues d’un pas aérien), le film parcourt l’histoire de la ville, de 1930 jusqu’à nos jours. Sur un mode à la fois distant et personnel, factuel et incarné, les différents témoignages évoquent successivement les douleurs de la guerre, de la révolution culturelle, de la tyrannie des triades, de l’autoritarisme du régime et de l’exil, ainsi que les doutes et les espoirs liés aux mutations effrénées de la future première puissance mondiale. Filmé avec une délicatesse infinie par Jia Zhang-ke (lumière douce, lents travellings), chacun des "témoins" livre une part intime de lui-même et de sa ville. Par cercles concentriques, le réalisateur creuse ainsi patiemment l’histoire de son pays, liant imperceptiblement un souvenir à un autre, une génération à la suivante, un milieu social à son opposé, pour mieux révéler les traces de ce qui n’est plus, de ce qui s’est perdu ou de ce qui s’est tu à jamais (et qui a à voir avec une certaine forme de solidarité, un certain sens du collectif). De l’écho créé par la succession de ces entretiens filmés naît une mélancolie qui étreint le coeur, tout en évitant subtilement toute démonstration passéiste. Quand, ensuite, Jia Zhang-ke filme les rues de Shanghai, depuis les quartiers délabrés jusqu’aux complexes en construction pour l’exposition universelle, ses images à la beauté glacée se laissent, elles aussi, gagner par cette étrange mélancolie, à la fois douce et poignante. Comme dans Still Life ou 24 City, l’auteur parvient à fictionnaliser le réel, à convoquer dans un plan fixe d’immeuble vide ou dans un travelling sur une rue grouillante tout le poids d’histoires passées et pourtant présentes, comme s’il parvenait à replier / déplier toutes les époques en une seule image. On ne sait pas bien dans quelle mesure un tel film a pu répondre à ce qu’en attendait le gouvernement chinois qui, dans le cadre d’une exposition universelle, devait certainement espérer une commémoration plus festive, plus consensuelle et plus grandiose. Il n’empêche, en subvertissant ainsi une commande officielle, en la pliant sans cesse à l’exigence de sa morale artistique, Jia Zhang-ke prouve une fois de plus quel grand cinéaste il est. On oubliera alors vite que les interventions de Hou Hsiao-hsien ou de Wong Kar-wai ne soient que des prétextes, ou que les errances de l’"ange blanc" puissent être aussi absconses. I Wish I Knew est une oeuvre trop rare pour s’en tenir à cela.
© LES FICHES DU CINEMA 2011
