Synopsis
Fort du succès de C’est dur d’être aimé par des cons, son documentaire sur le procès des caricatures de Mahomet, Daniel Leconte ramène ses caméras au palais de justice. Le film est conçu d’une manière à peu près identique, mais l’axe change, puisqu’on passe ici du débat social à la joute politique. Le procès, cette fois, c’est celui de l’affaire Clearstream. Un procès comme un journaliste n’oserait même pas en rêver, puisqu’il oppose rien de moins qu’un ex-Premier ministre (Dominique de Villepin) et un Président de la République en exercice (Nicolas Sarkozy), autour d’une sombre histoire d’espionnage, de corruption, de listings banquaires trafiqués et de rivalité politique. Cette histoire, pleine de haine, de secrets et de choses qui nous dépassent, aurait d’ailleurs pu avoir une dimension théâtrale assez grandiose. Or, on se rend compte ici qu’elle ressemble en fait beaucoup moins à du Shakespeare qu’à un mélange entre Le Grand blond... et Les Tontons flingueurs. Aussi, et bien qu’elle nous soit racontée par le menu, l’intérêt est moins dans l’histoire que dans ce qu’elle révèle, à savoir que le mensonge est aujourd’hui, dans les hautes sphères du pouvoir, une pratique non seulement courante, mais pour ainsi dire admise. Car ce que nous montre Leconte en couvrant ce procès, c’est avant tout une grande comédie, interprétée par un luxueux casting de ténors de la politique et de ténors du barreau, dont il est vite apparent - voire avéré - que tous mentent. Alors même que, tour à tour, chacun se drape dans son honneur offensé ou brandit les valeurs de la République, tout le monde joue. Chaque acteur a son style : emphase avec Villepin, cabotinage malicieux avec son avocat, pragmatisme style "le bon sens près de chez vous"avec celui de Sarkozy... Mais personne n’est crédible. Il y avait donc là un vrai sujet, et matière à s’indigner et/ou à rire. Le titre semble d’ailleurs annoncer qu’il remplit le contrat (traiter le sujet, s’en indigner et en rire). Mais il faut noter que ce Bal des menteurs s’écrit avec des guillemets, ce qui indique qu’il s’agit (comme pour C’est dur d’être aimé par des cons) d’une citation. En d’autres termes : l’auteur dit les choses sans les dire. Et le problème est que cette stratégie, Leconte l’applique au-delà du titre : il envoie des signaux qui semblent le rattacher à un cinéma impertinent à la Pierre Carles, mais prend soin de rester protégé par une forme d’"objectivité journalistique". Il collecte des faits et des témoignages comme pour un dossier d’instruction, mais ne les fait pas résonner entre eux, et donc ne construit pas une réflexion ni ne donne à entendre un point de vue. Il en résulte alors un film documenté et édifiant, mais cinématographiquement inexistant (la grammaire est ici entièrement celle de la télé) et intellectuellement peu stimulant. Car, de ces deux heures d’enquête, on ne ressort finalement avec en tête qu’un classique "tous pourris" qui ne sonne plus guère que comme un constat un peu las et blasé...
© LES FICHES DU CINEMA 2011
