Synopsis
?Qu’ils reposent en révolte est une sorte de grande fresque, à la fois contemplative et engagée, sur le sort des clandestins et leurs parcours douloureux. Mais le film s’attache aussi à montrer la mobilisation sociale en matière d’immigration et une certaine violence d’État qui se donne ici à voir de façon extrêmement crue et décomplexée. Sylvain George montre comment les migrants, organisés par nationalité, se sont entassés dans les "jungles" ou dans des squats du centre-ville de Calais. Dans la zone industrielle où s’alignent les camions en attente de chargement, sur des terrains boisés, laissés à l’abandon, ils se sont construit des abris improbables : petites cabanes faites de palettes, de bâches et de couvertures. La zone est souillée de sacs plastiques, de bouteilles et de détritus. Les conditions d’hygiène y sont terribles, la toilette sommaire. Les regards sont farouches, les visages marqués par le froid, la peur, l’épuisement physique et psychique, la déréliction. Cette tension humaine est rendue de façon magistrale par un travail sur le son, les vitesses de défilement de la pellicule, le ralenti, toutes les ressources de la matière et des matériaux, afin de créer des espace-temps différents. L’usage d’un Noir & Blanc très contrasté permet d’instaurer une distance critique avec la réalité et dit le goût du réalisateur pour le détournement de la notion d’archive, qui renvoie en général au passé, en des images ici éminemment contemporaines. Mais on peut aussi parler de jeu sur le document historique, car ce qui renvoie au passé renvoie aussi au présent. Sylvain George, héritier de certaines des expériences libertaires des années 1970, dit avoir été très tôt confronté à l’altérité mais aussi au racisme, à la désintégration sociale, données éthiques et politiques dont son cinéma est pétri. On sent son goût, sa volonté absolue d’entrer en relation, sans position de surplomb, avec les sujets qu’il filme, en prenant le temps de la création du lien pour s’immiscer dans la singularité des vies et des destins. Histoires individuelles dont, parfois, nous sont données en témoignage quelques bribes, aussi vertigineuses qu’effrayantes et lucides. L’objectif est ici de briser les représentations et les archétypes pour sortir du langage de l’expert et de la donnée statistique qui réifient les êtres et les rapports humains. L’ensemble, bouleversant, est traversé de plans d’une noire poésie, qui s’attardent sur le paysage, la pluie, la nuit, le port, avec comme contrepoint ultime la lumière crue qui baigne le dernier mouvement du film, le démantèlement de "la jungle de Calais", expression de la violence d’État. Le titre, somptueux, emprunte au poème de Michaux paru en 1949, Qu’il repose en révolte : "Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire, dans ce qui souffre, dans ce qui suinte, dans ce qui cherche et ne trouve pas [...] Dans la présence de la mer, dans la distance du juge, dans la cécité [...] sera sa mémoire."
© LES FICHES DU CINEMA 2011
