Synopsis
Des musiciens qui accordent leurs instruments, quelques notes de musique, le début d’une répétition : le film s’ouvre sur une scène d’apparence ordinaire, et qui se trouve être, pourtant, le résultat d’un petit miracle, dont Safinez Bousbia, la réalisatrice, est à l’origine. Car cette jeune femme a décidé de réunir d’anciens musiciens de musique chââbi, que l’Histoire avait séparés pendant près de cinquante ans. Le documentaire qu’elle en tire revient sur chaque rencontre, chaque étape ayant rendu possible un tel projet. Un long parcours, qui part d’un hasard : celui de la rencontre entre Safinez Bousbia et Mohamed el-Ferkioui. Celui-ci fit découvrir à la jeune femme les origines de l’une des musiques populaires les plus connues d’Algérie : le chââbi. Le métissage de cette musique (arabo-andalouse, berbère) se reflète à travers les témoignages de chacun des anciens musiciens que la réalisatrice va rencontrer : musulmans, juifs, exilés. Leurs racines communes, Alger, et plus particulièrement le quartier de la Casbah, ont été détruites par le temps, et par la guerre. La parole est donnée à ces hommes, que la réalisatrice filme dans des endroits bien différents de la Casbah des années 1950 : luxueux appartement parisien, petit restaurant populaire ou encore rue déserte d’Alger. Autant de lieux qui marquent de façon poignante le changement radical qui s’est opéré pendant toutes ces années. De fait, il se dégage des propos de ces hommes éloignés de leurs racines une forte nostalgie. En endossant le rôle de réalisatrice, Safinez Bousbia va s’employer à réunir les différents musiciens, éparpillés en France et en Algérie, pour reformer un groupe chââbi lors d’un concert unique à Marseille : c’est la naissance d’El Gusto. À dire vrai, le style de ce documentaire s’apparente davantage à celui d’un reportage télévisé qu’à celui d’un véritable film de cinéma : les nombreux plans tournés au steadycam, les vues aériennes, les images d’archives et la voix off (très présente et descriptive) de la réalisatrice nous laissent à penser qu’il a été conçu avant tout comme un témoignage, aussi complet que possible, plutôt que comme un objet artistique. C’est d’ailleurs l’honnêteté de la cinéaste dans cette démarche qui donne toute sa valeur au projet. Car la force humaine de ce film est inébranlable : au fil du documentaire, on découvre ces hommes blessés par le passage de l’Histoire, mais qui pourtant restent toujours aussi rêveurs et heureux lorsqu’il s’agit de reparler de leur musique. Les retrouvailles finales, point d’orgue d’un méticuleux travail de recherche, sont des instants émouvants et forts. Malgré une fin un peu longue (l’enchaînement des concerts, un poil redondant), la réalisatrice ne peut qu’être saluée pour cette entreprise qui rappelle à chacun que la mémoire individuelle fait partie d’un tout : une mémoire collective qu’il ne faut pas laisser s’effacer. À l’heure où les questions d’identité peuvent susciter la controverse, ce film vient rappeler la simplicité des choses et la beauté de l’union de quelques hommes, toutes origines confondues, au sein d’un seul et même groupe.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
Réalisateur