Synopsis
Dieter Auner, le réalisateur de ce beau documentaire, est né en Roumanie en 1970, c’est-à-dire en plein coeur de l’autocratie délirante et arriérée des époux Ceausescu. Mais il est aussi le contemporain de la fin du communisme, de l’arrivée de la démocratie et de l’adhésion à une Union Européenne qui impose ses contraintes et ses normes, notamment au monde rural. C’est de cette traversée, brutale, radicale, nécessaire, qui vient bouleverser en une poignée d’années des habitudes multiséculaires, dont il est ici question. Sur des images d’une saisissante beauté, qui louent la splendeur de la nature et dont certains plans, par leur sensualité même, ne vont pas sans rappeler le Lady Chatterley de Pascale Ferran et l’admiration pour la création qu’elle y exprimait, nous suivons le travail de ces modestes bergers, appelés à être les sacrifiés de la modernité. Rustior, le village de Transylvanie auquel se consacre ce documentaire, fait partie de ces confins européens que commencent seulement à impacter les profondes mutations, déjà familières ailleurs. Là, c’est au rythme lent et humble des charrettes, de l’agnelage, de la transhumance, de la tonte, au contact des anciens, qui transmettent mémoire et savoirs, et des enfants qui jouent, que se forgent la solidarité du village et le sentiment d’appartenance, d’identité, qui lie à la fois les hommes entre eux et le réalisateur aux villageois. On attache plus particulièrement nos pas à la famille Creta, dont le jeune fils, Albin, reprendra l’élevage. Régulièrement, sa mère et sa soeur partent en Allemagne pour travailler comme saisonnières au ramassage des courgettes et gagner ainsi en quelques semaines bien plus que durant un an sur leur propre exploitation. Elles reviennent, toujours attendues et fêtées par le clan réuni, les bras chargés de cadeaux manufacturés et parfois encore énigmatiques. En témoigne la longue scène cocasse durant laquelle le gendre cherche à comprendre comment se monte et fonctionne un aspirateur, jusqu’ici peu utile sur les sols en terre battue des maisons traditionnelles. On observe aussi, dans les yeux des hommes, la résistance au changement, la peur de se perdre, le refus craintif et las des nouvelles obligations réglementaires sur lesquelles se fracassent les traditions, la nécessité de se plier à des normes qui mettent en péril, de façon définitive, le métier de berger, préservé jusque-là par le respect des activités saisonnières vécues au rythme des cycles naturels du village. De ce long cheminement entre l’équipe de tournage et le village, de ce patient apprivoisement, de ce partage des tâches, les uns portant le matériel des autres, les autres secondant les uns, qui en chargeant du foin qui en coupant du bois, sourdent une fraternité, une confiance réciproque, l’intuition d’une relation profonde et sincère avec ces familles de bergers et avec un monde rustique et âpre, noble et rude, tout juste en train de disparaître.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
