Synopsis
Dans la nuit du 3 mars 1957, Rezso Kasztner fut assassiné à Tel Aviv. Le premier à apparaître sur l’écran est son assassin : Zeev Eckstein. C’est un curieux personnage, déconcertant, qui s’écoute souvent parler et dont on ne saura jamais, jusqu’à sa rencontre finale avec la famille de sa victime, qui il est vraiment. Gaylen Ross reconstitue alors un double drame méconnu (occulté même) - la destinée de Rezso Kasztner - à travers les témoignages de sa fille et de ses petites filles, d’autres membres de sa famille, d’historien(ne)s, d’amis ou d’adversaires, mêlés à de nombreux documents d’actualités. La construction "puzzle" n’aide guère le spectateur, qu’un maladroit parti pris de dramatisation (musique envahissante, "reconstitution" pataude de l’assassinat) peut aussi irriter. Mais il faut oublier ces défauts et les quelques minutes de trop de ce documentaire, tant celui-ci est passionnant. Reconstituons le puzzle. Premier drame : Rezso Kasztner, journaliste, dirigeant juif clandestin de l’Ihud socialiste en Transylvanie, était l’un des responsables du comité de secours la Vaada. Début 1944, l’Allemagne nazie occupe la Hongrie, et la "solution finale" conduite par Eichmann frappe une population jusque-là épargnée. En avril, débutent les convois pour Auschwitz, beaucoup de juifs hongrois ne croient pas aux mises en garde de Kasztner et ses amis. Par ailleurs, l’Allemagne est au bord de la ruine. Kasztner va alors tenter un pari fou : négocier avec Eichmann en personne. Il propose 10 000 camions livrés par les Alliés contre la vie sauve pour les Juifs. Les camions n’arriveront pas. À leur place, Kasztner récoltera de l’argent. Un premier convoi de 1685 personnes réussira à gagner la Suisse, après un pénible passage au camp de Bergen-Belsen. Des survivants de ce premier "train Kasztner" témoignent. Beaucoup (pas tous !) ont oeuvré à la réhabilitation de celui qui sauva en tout 18 000 Juifs hongrois. Réhabilitation ? Kasztner s’installe avec les siens en Israël, entre dans le gouvernement de Ben Gourion. En 1954, un extrémiste religieux, Gruenwald, l’accuse d’avoir collaboré avec les nazis, choisi ceux qui allaient être sauvés et détourné l’argent reçu. Kasztner l’attaque en diffamation. Shmuel Tamir, avocat farouchement opposé au régime travailliste, parvient à le transformer en accusé, en prouvant qu’il intervint par écrit en faveur d’un officier SS au procès de Nüremberg alors qu’il le niait (on apprend qu’il le fit aussi pour d’autres). Le scandale est énorme. Kasztner "a vendu son âme au diable" conclut le tribunal. Lui et sa famille (sa fille Zsuzsi évoque avec une grande dignité ce qu’elle subit alors) sont mis au ban de la société, jusqu’à son assassinat, organisé par des extrémistes. Gaylen Ross n’occulte aucune des zones d’ombre de cette affaire. Ce qu’elle fait aussi ressortir, à l’encontre de visions parfois idylliques, ce sont les difficultés que les rescapés de la Shoah ont pu rencontrer à leur arrivée en Israël, les implications de l’affaire dans la Guerre froide, les tensions exacerbées par la crise de Suez. Pour tout cela, ce film est un document historique majeur.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
