Synopsis
A priori, Au prochain printemps ressemble à un énième documentaire militant, sensé (r)éveiller notre conscience politique à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Le film s’ouvre sur un couple de retraités assistant à l’annonce télévisée de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007... et enchaîne sur un titre qui nous renvoie "quelques mois plus tôt". Annonce d’une démonstration imminente ? Non, car Luc Leclerc du Sablon, cinéaste aux multiples casquettes (comédien, directeur de production, réalisateur, à la télévision comme au cinéma), nous entraîne sur une piste différente. À des interviews orientées par une grille de questions récurrentes, il préfère la parole libre, jamais coupée, de ses intervenants, filmés en gros plan ; une parole vivante, réelle, avec ses fautes de français, ses aléas de diction, à mi-chemin entre le discours raisonné et la remarque spontanée, venue tout droit du coeur. À des images d’archives (ou des captations d’événements sur le vif, caméra à l’épaule), il préfère la beauté de plans fixes extrêmement bien composés, filmés au gré de ses déambulations à travers la France : un bateau de fret quittant le port, un tracteur labourant un champ, ou un simple carrefour, etc. Il réussit au passage un tour de force assez rare : rendre l’image numérique envoûtante, et ce malgré sa basse définition, son grain vidéo prononcé et sa profondeur de champ souvent limitée. Enfin, à un montage didactique, Leclerc du Sablon oppose une libre alternance entre les scènes, mettant ainsi sur le même plan le discours "engagé" des membres d’une SCOP, les gestes d’un pâtissier préparant son kouign-amann et la vie animée d’une galerie marchande. Par petites touches, il dessine un portrait, une cartographie de la France, à la fois réaliste et poétique. Et il ramène ainsi la question politique à cette seule échelle où elle devrait faire sens : l’échelle humaine. Au détour des conversations, les intervenants (qui sont aussi bien des personnes que le réalisateur connaissait, via ses précédents projets, que des nouvelles rencontres) abordent des sujets aussi variés que l’immigration, la mondialisation, la libre concurrence, la société de consommation, la condition du patronat et des salariés, les inégalités du système capitaliste comme les contradictions du modèle communiste, etc. Ils dressent alors, par leur finesse d’analyse et la diversité de leurs propositions, un état des lieux complexe, pluriel et contrasté de notre pays. Le tout se situe loin des discours théoriques, prononcés selon le réalisateur dans une "langue morte", de certains responsables politiques et autres experts sensés décrypter pour tous une sorte de vérité unique, loin des réalités. Un plan résume ce clivage avec force : dans une épicerie, la télévision est allumée et diffuse le discours de Sarkozy prononcé à l’issue du premier tour. Un discours plein de promesses, aussi scolaire que brillant. Mohamed, le patron de l’épicerie, qui n’a pas le droit de vote, écoute d’un air dubitatif tandis que les clients, indifférents, eux, font leurs courses. Un écart aux allures de gouffre, que le film appelle à combler au plus vite.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
