Synopsis
"Je ne sais pas il a fait ça pourquoi", affirme, à propos des questions qui lui sont posées lors d’entrevues, l’un des résidents du centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe. Comme plusieurs autres, il saura bientôt si sa demande d’asile en Suisse lui est octroyée. C’est cet état d’incompréhension constante qui constitue l’ambiance de ce documentaire de Fernand Melgar, membre du collectif Climage. Une incompréhension partagée par les différents employés : lors d’une réunion, ceux-ci essaient, difficilement, dans la limite de leurs moyens, de trouver des façons de rendre la vie des résidents plus humaine. Elle ne l’est pas, visiblement. Interdiction de sortir entre certaines heures, impossibilité de s’adonner à certains divertissements (il est notamment interdit de jouer d’un instrument de musique), communication extrêmement difficile (du fait des différences ethniques), repas et réveil prévus à heures fixes : le centre, à vrai dire, fait davantage office de prison que de résidence. Un univers kafkaïen dans lequel les gens, identifiés par un seul et unique papier, qu’ils portent constamment sur eux, ne peuvent qu’attendre la décision de la machine administrative (la procédure pouvant durer jusqu’à soixante jours). La réalisation distante et l’image aux couleurs délavées rendent adéquatement l’aspect inhumain du lieu, en fonctionnant par contraste. Alors que les ambiances sonores alternent entre les intérieurs, où grésillent les néons, et les extérieurs, plus paisibles, le centre semble être au milieu de nulle part, près de la nature. Le montage exprime également, à sa façon, ces oppositions, en se permettant de créer subtilement d’autres dissonances. Par exemple, les séquences d’entrevues présentent des champs / contrechamps dans lesquels l’un (le résident) a le regard fuyant tandis que l’autre (l’employé) est tellement affairé à son ordinateur qu’il ne regarde jamais son interlocuteur. Malgré tout, certains passages témoignent d’un optimisme confiant de la part des demandeurs. C’est le cas notamment d’un groupe d’Africains, qui célèbrent leur messe, avec une énergie surprenante dans ce lieu d’une austérité absolue ; ou encore d’enfants de plusieurs familles, qui s’adaptent au lieu beaucoup plus rapidement que leurs aînés. Si certaines scènes sont ouvertement dramatiques, à la limite du sensationnalisme, Melgar a l’intelligence de ne jamais s’interposer et de laisser les différents récits se créer d’eux-mêmes. De même, il laisse la caméra tourner lorsque des résidents l’interpellent pour s’amuser, ou parce qu’il s’agit là de leur seule possibilité de témoigner, à l’adresse du monde extérieur, de leur situation. Le film nous informe en fin de parcours que, sur les 10 000 demandes d’asile déposées en 2007 en Suisse, moins de la moitié ont reçu une réponse positive, et que, parmi celles-ci, les deux tiers n’étaient que des admissions provisoires. Un sombre constat pour un film déconcertant, et dont l’auteur prolongera le mouvement dans le saisissant Vol spécial, évocation du quotidien d’un centre de rétention et des procédures d’expulsion des immigrants.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
