Synopsis
En 2006, le cinéaste d’origine turque Fatih Akin tourne la dernière scène du film De l’autre côté dans un village, Çamburnu, d’où sont originaires ses grands-parents. Le village, dont l’économie dépend essentiellement de la pêche et de la culture du thé, s’oppose à un projet de reconversion qui consiste à créer, sur le site désaffecté d’une vaste mine de cuivre, une immense décharge de déchets domestiques à ciel ouvert. Un tombeau pour plusieurs centaines de millions de tonnes de rebuts. Le cinéaste propose de mettre sa notoriété au service de ce combat contre un projet que tous, à commencer par le maire, estiment bâclé, mal pensé, non conforme en tout état de cause à la législation en vigueur, et d’en filmer les différentes étapes. Une fois en activité, le fonctionnement quotidien de la décharge démontre sans aucune équivoque que sa création s’est appuyée sur des études faites en dépit du bon sens, lesquelles n’ont absolument pas tenu compte de la proximité du village, des nuisances, des bruits et des odeurs susceptibles de rendre éprouvante la vie des villageois, des risques sanitaires et environnementaux que fait courir de surcroît un dispositif technique inadapté aux brusques et fortes pluies caractéristiques de la région. Ainsi, Polluting Paradise, dont le tournage démarre dès 2007, chronique-t-il l’évolution de ce projet, le cheminement du dossier dans les arcanes de la justice, les batailles perdues, les répits de courte durée, l’incessant ballet des poids lourds, la corruption des eaux, la dégradation de l’environnement, l’effondrement du bassin de rétention, la multiplication des animaux qui pistent leur pitance au milieu des ordures, les espoirs de la population, ses moments d’abattement, sa ténacité en miettes. Pour sa troisième exploration des voies du documentaire après Denk ich an Deutschland et Crossing the Bridge, Fatih Akin signe, avec Polluting Paradise, un documentaire de facture classique tant sur le plan formel qu’en terme de propos, dans sa défense d’un point de vue, dans le choix d’un parti pris, d’une juste cause. Classique dans sa manière de suivre la chronologie des événements du combat qui n’en finit pas entre David et Goliath, entre la raison et l’arbitraire, entre la bêtise herculéenne et l’impuissant discernement. Classique également dans sa faculté à démontrer que la loi et les pouvoirs publics ne protègent pas le citoyen, l’électeur, ni quoi que ce soit qui ait le nom d’homme. Classique enfin dans sa capacité à mettre en lumière cette évidence triste que consommer absolument à tort et à travers va bon train, et que personne n’accepte d’en subir les conséquences en accueillant une décharge à sa porte, à sa fenêtre. Toutes choses qui, soit dit en passant, font de la Turquie, sinon un État moderne, un pays tout à fait identique à ceux qui composent la Communauté européenne. Reste une énigme : le silence pudique du film à propos des problèmes de santé publique que peut créer une décharge de cette importance à travers la pollution de l’air et celle des eaux.
© LES FICHES DU CINEMA 2013