Synopsis
Bien plus qu’une géniale série B sur un garçon qui parle à son petit doigt pendant que son écrivain de père défonce la porte à coups de hache, Shining est en fait un film très sérieux sur la Shoah. Ou sur le génocide des «Natives Americans.» Ou sur la culpabilité du réalisateur d’avoir secrètement tourné pour la Nasa les images de l’alunissage d’Armstrong... Preuves à l’appui, Rodney Ascher expose ici toutes les interprétations du film de Stanley Kubrick. Donnant la parole à quantité d’experts ès-Shining (historiens du cinéma reconnus ou fans anonymes), le documentaire analyse longuement certaines séquences, zoome sur des détails du décor (ici une machine à écrire siglée d’un aigle du Reich, là une boîte de conserve à l’effigie d’un Amérindien, plus loin un pull-over au motif de la Nasa... tiens, tiens...) ou révèle le sens subliminal des images en projetant, en transparence, le film monté à l’envers et l’original (l’occasion de voir le meurtre des deux jumelles se superposer au visage de Jack Nicholson, dont les yeux apparaissent comme injectés de sang). Les relectures les plus farfelues côtoient ainsi les analyses les plus pertinentes (notamment sur le rapport coupable qu’entretient le film, et l’ensemble de l’oeuvre de Kubrick, avec le passé). Si l’on ne sait jamais quel degré de crédibilité les protagonistes eux-mêmes accordent à leurs analyses, leurs argumentations - aussi absurdes soient-elles - ont tout de même le mérite d’être convaincantes. C’est que l’acuité de la mise en scène et le souci maniaque du détail de Kubrick rendent d’autant plus troublants certains de ses choix. Que penser de l’impossible fenêtre du bureau de Monsieur Ullman à la troisième minute ? Que dire, à la quatorzième, de ce faux-raccord - grotesque ! - dans un plan large montrant une voiture à vive allure qui disparaît dès le plan suivant ? À la quinzième minute, dans la chambre froide, le personnage de Jack Nicholson entre par une porte et ressort, l’air de rien, par une autre. Plus incroyable encore est la gestion de l’espace de l’hôtel, dont il est ici prouvé que l’agencement est totalement irréaliste, y compris après une analyse, quasiment image par image, des fameuses séquences de déambulations en tricycle (Ascher va même jusqu’à modéliser en images de synthèse l’hôtel pour étayer la démonstration). Toutes ces bizarreries apparaissent comme autant de signes destinés, sinon à tromper le public, au moins à perturber suffisamment - et durablement - sa vision. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le film se prête aussi bien à ce jeu de relectures multiples et infinies. Tantôt didactique, tantôt ironique, Room 237 parvient à trouver une forme inventive (notamment en choisissant de ne jamais filmer les témoins) pour rendre un hommage drôle, étonnant et absurde au génie de Kubrick. Mais plutôt que l’exégèse d’un film, le documentaire devient surtout, à force de confronter les interprétations, un film sur l’exégèse elle-même, sur la manière dont une oeuvre échappe à son créateur, à ses intentions supposées ou réelles, pour nourrir, parfois jusqu’à la paranoïa, l’imagination de celui qui la regarde.
© LES FICHES DU CINEMA 2013
