Synopsis
Entre 1975 et 1979, le Cambodge a vu disparaître un quart de sa population. Un quart. Le résultat de l’"Homme nouveau" voulu par le régime des Khmers Rouges. Dans la littérature consacrée à ce génocide - l’un des plus importants du monde moderne -, il est dit que la population a été jetée dans une passoire, d’où ne sortirait qu’un homme fort, un homme de la terre, sans identité, ni famille, ni culture. Les premiers à être précipités dans cette machine infernale furent les intellectuels. Et les artistes. Ainsi allait mourir un art adolescent, né au Cambodge depuis tout juste une quinzaine d’années : le cinéma. Travelling en marche arrière depuis un tuk tuk sur la route du soleil. Début du Sommeil d’or. Entre les années 1960 et le milieu des années 1970, quelque 400 films ont vu le jour au Cambodge. Malgré la guerre civile et l’approche progressive des Khmers Rouges, les cinémas de Phnom Penh font le plein. Le grand-père de Davy Chou était alors un producteur prolifique, comme le jeune homme l’apprendra de sa tante, exilée en France. Il ne reste quasiment rien des films tournés alors. Le Sommeil d’or ne sera donc pas à proprement parler un documentaire sur le cinéma cambodgien de l’époque. Et c’est tant mieux. Ne connaissant ni le khmer ni même le Cambodge, Davy Chou a privilégié le témoignage. À la passoire, il oppose la pelleteuse : il creuse dans les souvenirs des quelques survivants - producteur, cinéastes, actrice, cinéphiles - pour faire renaître une mémoire commune. In fine, des images surgiront. C’est que le cinéma hante les esprits des survivants comme une ancienne maîtresse disparue hanterait son amant esseulé. La manière dont Chou le fera réapparaître sera donc d’un romantisme fou. Entre-temps, il aura pris soin de faire un vrai film de cinéma, aux plans superbes, et dont la construction suit les contours d’une évocation, au rythme d’un lancement de galet. Le film rebondit ainsi d’un témoignage à un autre, dessinant de plus en plus nettement ce que signifie la perte d’un art, d’un divertissement, d’une famille, d’un métier, d’une identité. Par le biais de la destruction du cinéma, s’affine la représentation de ce qu’est la destruction d’un peuple. Un peuple que l’on a voulu sans culture, donc sans mémoire. Par son entreprise, Davy Chou permet à l’un, Yvon Hem, de raconter à sa nouvelle famille la perte de sa première femme et de leurs quatre enfants ; à l’autre, Ly You Sreang, de recouvrer la mémoire de ses films entièrement disparus, après qu’il est devenu chauffeur de taxi en France ; à un autre encore, Ly Bun Yim, de partager avec le spectateur la force toujours vive de son imagination spectaculaire. En contrepoint, venant conforter la nécessité de se souvenir, un cinéphile avoue avoir oublié des visages familiers, mais se rappeler ceux des acteurs et actrices qu’il adorait - dont Dy Saveth, unique survivante de sa troupe, et qui n’a rien perdu aujourd’hui de sa majesté d’antan. C’est alors un cinéma de fiction que l’on souhaiterait voir proliférer au Cambodge, et non plus seulement de documentaires (même s’ils sont souvent brillants) : un cinéma populaire revenant pour signer la fin de l’amnésie. _Ch.R.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
