Synopsis
Pour des générations d’enfants, Tomi Ungerer est l’inventeur inoubliable d’histoires dessinées drôles, insolentes, parfois cruelles, toujours humanistes, qu’il écrivit et dessina depuis les premiers Mellops en 1957, le boa Crictor puis Les Trois brigands : des "héros" peu communs, à contre courant des guimauves que l’on infligeait à une enfance mythifiée. Pour d’autres, peut-être les mêmes, il demeure le percutant affichiste militant, aux États-Unis, contre la guerre du Vietnam... On ne saurait ainsi limiter l’activité de ce créateur prolixe, maintenant reconnu et honoré, mais naguère, pour beaucoup, sulfureux, né en Alsace en 1931 : le portrait que lui consacre Brad Bernstein est à la hauteur de l’artiste et de son oeuvre. Avec un sens aigu du découpage, Bernstein déconstruit/reconstruit la vie d’Ungerer, depuis son enfance alsacienne dans une famille vouée à l’industrie horlogère, endeuillée dès 1935 par la mort de son père, marquée ensuite par l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne hitlérienne : son évocation aimante de la digne résistance de sa mère face aux nazis est un beau moment. Cet ancrage dans l’enfance, puis dans une adolescence marquée par sa déception de voir la République opprimer à son tour la langue alsacienne et par une irrépressible (et durable !) envie de voir du pays, permet de saisir la personnalité de cet "esprit frappeur" (joli sous-titre du film), libertaire, insatisfait, révolté et fondamentalement pacifique, devenu "combattant" du rapprochement franco-allemand. Aux documents anciens, remarquablement choisis et intégrés, se mêlent les témoignages et aussi les interventions d’Ungerer lui-même, maintenant alerte octogénaire, toujours malicieux et inquiet, filmé dans diverses manifestations et dans le havre qu’il s’est trouvé en Irlande, après avoir quitté avec sa compagne les États-Unis puis le Canada, ou dans son atelier strasbourgeois. La partie centrale du film est consacrée à sa période américaine : quinze années commencées en 1956, lorsqu’il arriva à New York avec ses dessins et soixante dollars pour toute richesse. C’était alors la ville de tous les possibles, comme il le dit et comme le montrent son engagement aux éditions Harper et ses succès rapides, tant comme créateur de livres pour enfants que dessinateur pour les plus grands magazines ou pour la publicité. C’était aussi le pays du racisme, qu’il découvrit et combattit avec force. Témoins de cette époque, deux autres grands dessinateurs-amis, Jules Feiffer et Maurice Sendak (disparu depuis le tournage). Succès fragile : son combat graphique contre la guerre du Vietnam ne plut pas à tout le monde, ses publications érotiques, longuement évoquées, tel Fornicon (1969), lui fermèrent l’accès aux bibliothèques, où ses ouvrages antérieurs furent supprimés. Intelligence du montage et de la mise en images, recherches approfondies, commentaire aussi discret que riche, illustration musicale jamais redondante, identification claire pour le spectateur des lieux, des faits, des époques, des intervenants : les qualités que devrait offrir tout documentaire sont ici réunies avec un talent et un bonheur rares. Une grande réussite.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
