Synopsis
Detroit, fin des années 1960. Dennis Coffey et Mike Theodore, deux figures du rock local, découvrent, au fond d’un bar enfumé des docks, un nouveau son de guitare et une voix, celle d’un jeune fils d’immigré mexicain : Sixto Rodriguez. Persuadés d’avoir découvert le nouveau Bob Dylan, ils l’aident à produire son premier disque, Cold Fact. Un bide total, à la stupéfaction de tous, sauf du principal intéressé qui reprend sa petite vie de maçon et vit modestement pendant les trente années suivantes. Un artiste mal lancé sans doute, à une époque de racisme anti-Hispaniques latent, où Rodriguez devait être un nom aussi peu vendeur, sinon plus, que Zimmermann. Une histoire a priori banale, si ce n’est qu’à l’autre bout du monde, en Afrique du Sud, alors que Rodriguez vivote, son album est plusieurs fois disque d’or. Une de ses chansons, I Wonder, largement piratée, est carrément devenue l’hymne du combat des étudiants (alors forcément blancs) contre l’apartheid. Dans l’Afrique du Sud des années 1970 et 1980, celle de la télévision et de la radio uniques, le très subversif Rodriguez, censuré, est aussi connu que les Beatles, et plus qu’Elvis... Là-bas, on raconte qu’il s’est suicidé sur scène. Ce n’est que dans les années 1990 que des journalistes sud-africains découvrent que Rodriguez est toujours vivant ! Au fil des rencontres avec les différents acteurs de ce scénario bien réel, le réalisateur Malik Bendjelloul remonte le fil d’Ariane, démêle les noeuds, mais laisse le spectateur tirer ses propres conclusions, notamment sur la mystérieuse disparition des royalties versées par la maison de disques sud-africaine à Clarence Avant. Ce dernier, désormais installé à Beverly Hills, se fend, lorsqu’il est interrogé, d’un "émouvant" discours sur sa tristesse de n’avoir jamais vu Rodriguez percer. L’enquête est ponctuée, parfois sous forme de clip animé, par les chansons de l’artiste. Difficile de ne pas accrocher à ce documentaire-enquête monté sans budget, mais avec un enthousiasme communicatif. Et lorsque le mystère est levé, ce n’est pas un gros retraité en chaussons que l’on retrouve dans un quartier pauvre de Detroit, mais un ouvrier en costume trois pièces. Engagé, le travailleur a trouvé le temps de passer une licence en philosophie et est une figure politique du Michigan. Surtout, malgré les rides, il a gardé le même air, un peu timide, un peu espiègle, mystérieux derrière les lunettes de soleil et sous le chapeau noir. Bref, il n’est rien d’autre que ce qu’il chante être. Le récit bénéficie sans aucun doute de la personnalité de Rodriguez, qui accueille sa nouvelle notoriété avec un naturel désarmant, comme si, à 60 ans, il avait toujours passé sa vie sur scène devant des parterres de 5 000 personnes. Mais à l’instant d’après, il est capable de retourner à sa vie d’ouvrier. L’histoire de ce Donovan basané, revenu à la lumière après des années d’anonymat, a tout du conte de fées. Mais c’est aussi la révélation d’un artiste qui en plus d’avoir signé deux albums qui sont deux purs joyaux de folk-rock, est encore capable de nous donner une belle leçon d’humanisme.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
