Synopsis
Spectres file le train au Chevalier Jacques Brassinne de La Buissière, haut fonctionnaire de l’administration coloniale belge, obsédé, sa vie durant, par l’assassinat du Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, perpétré le 17 janvier 1961, au lendemain de l’accession à l’indépendance. À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, celui qu’on nomme «le Chevalier» procède une dernière fois à l’exhumation des événements, de manière à démontrer qu’il a définitivement mis en lumière les circonstances de ce crime. Ainsi, la caméra l’accompagne-t-elle où le conduit sa quête de témoignages, dans de luxueuses demeures du plat pays, pour enregistrer, ce n’est pas si fréquent, de longs plans-séquences caméra à l’épaule. Pour autant, si ce parti pris formel semble témoigner d’un réel souci de mise en scène, l’ensemble - au-delà même du format employé, numérique et de pauvre qualité - produit régulièrement une frappante impression d’amateurisme. Quand, par exemple, l’opérateur décadre les protagonistes pour suivre des enfants qui passent en arrière-plan, la conversation prend fin. Mais peut-être est-ce dans cette capacité à révéler ce qu’habituellement le montage passe volontiers à la trappe - les gens qui s’adressent à l’opérateur, par exemple - que loge le véritable sujet du film, bien différent de celui qui hante son protagoniste principal (la mort de Lumumba). Si pour le Chevalier, la Vérité fait figure d’obsession, Sven Augustijnen, réalisateur et vidéaste passé par Le Fresnoy, s’intéresse assez peu à celle-ci - si ce n’est quand il s’agit de la contester, à l’aide de cartons - pour s’attacher davantage à la mise en scène de ce qui s’annonce comme la Vérité. On en prendra pour preuve la seconde partie, au Congo, où - ce qui est inimaginable dans un documentaire - par deux fois, il filme le Chevalier sur les lieux de l’exécution du Ministre : l’une de jour et l’autre de nuit. À deux reprises, le Chevalier tient le même discours, la seconde fois avec plus de ferveur semble-t-il. En comprenant que la première n’était qu’une répétition de la seconde, le spectateur prend conscience de ce qu’est réellement un documentaire : un dispositif élaboré, fruit de répétitions, de choix délibérés - cadre, lumière, environnement sonore et ainsi de suite... - bref, un travail de mise en scène, comme peuvent également en faire l’objet l’Histoire et la Vérité. En un instant, le réalisateur désacralise son protagoniste, la vérité dont il est le détenteur, et l’idée même de documentaire. De telle sorte que le film, soudainement, fait sens. Cette enquête - du «cinéma-vérité» filmé à la diable - n’avait d’autre intention que de mettre à nu la condition d’être du documentaire : tout, sauf la vérité. Finalement, Sven Augustijnen - sans nous le préciser et sans non plus en avertir le Chevalier - n’a jamais eu pour objectif de mettre la vérité en lumière mais de croquer le portrait d’une personne habitée et guidée par une certitude, d’un homme hanté par un sentiment de culpabilité (lui qui, à cette époque-là, était en poste au Congo). Ce qui vaut bien un film, documentaire ou non.
© LES FICHES DU CINEMA 2013
