Synopsis
La radio est le seul média qui s’introduit à visage couvert dans notre quotidien : inverser les rôles, en nous faisant entrer à pas feutrés dans les longs couloirs sinueux de la Maison de la radio, est la promesse passionnante de ce nouveau documentaire de Nicolas Philibert, tout juste sorti d’un autre haut lieu parisien, la ménagerie du Jardin des Plantes, où il filma l’orang-outan Nénette. Radio France abritant des stations aux caractères bien trempés, c’est dans une multitude de mondes que nous entrons : celui de la musique, celui de la culture et celui de l’information, ceux-ci s’entremêlant bien sûr d’un studio d’enregistrement à l’autre. Refusant tout didactisme - ce n’est pas son genre -, Philibert n’entend pas dresser le portrait kaléidoscopique de cette vénérable institution. On ne saura donc rien des journalistes à l’antenne, pas davantage des invités à leur micro. Aucun témoignage n’est requis, si ce n’est celui, hilarant, de Frédéric Lodéon, qui s’adresse à la caméra depuis un coin de son bureau envahi par les milliers de CD que ce mélomane compulsif accumule. Le fantasme est donc total : la visite de la radio se fera sans guide ! Pour cette raison, le documentaire ne se cache pas de s’adresser quasi exclusivement aux auditeurs de Radio France (ce qui fait déjà un bon potentiel de spectateurs), qui goûteront au plaisir de reconnaître le visage appartenant à une voix familière. Les voix - et plus généralement le son - sont ainsi, et par conséquent, au coeur du travail de Nicolas Philibert. En témoigne son attachement à filmer Marguerite Gateau, une réalisatrice de fictions dont l’oreille exigeante est à l’image de ses grands yeux ouverts. Mais le cinéaste va au-delà de la captation de ces preneurs de son : il réalise lui-même un travail sonore éminemment subtil. Il mêle, en effet, aux bruits enregistrés durant les émissions (musique expérimentale, concert, récital, tranche d’information, interview), les bruits de couloir eux-mêmes, créant une sorte de stimulation permanente, qui donne à ce lieu des airs de ruche bourdonnante. Laboratoire un peu fou, la Maison de la radio, en ouvrant ses portes, garde ainsi un mystère, car Philibert parvient à créer une matière vivante, qui nous échappe donc en même temps qu’elle s’offre à nous. Ce peut être un peu frustrant, d’autant que certains des partis pris sont, par ailleurs, discutables (pourquoi s’attarder sur la fabrication - assez peu intéressante ici - de l’information ? pourquoi aborder si peu la tranche jeunesse, dont Le Mouv’ a notamment la charge ? fallait-il des passages obligés pour satisfaire l’auditeur ?...). Mais on retiendra que malgré l’imposante bâtisse et l’ombre kafkaïenne qui plane sur ses rangées de petits bureaux, il règne dans cette Maison un esprit artisanal tout à fait réjouissant (il faut voir les cahiers manuscrits de Jean-Claude Ameisen !). Enfin, en corollaire de son travail sur le son, Philibert a également soigné la captation des visages, notamment ceux des invités (interloqués - magnifique Bénédicte Heim ! -, songeurs, sérieux...) face aux intervieweurs : subtil rappel que la radio est avant tout une affaire d’écoute.
© LES FICHES DU CINEMA 2013
