Synopsis
Entre essai et documentaire, le film de Pippo Delbono s’apparente à une sorte de journal de bord fragmentaire, support à une méditation sur la vie, le monde, la maladie, la poésie... Le réalisateur y assemble des bribes de moments captés en très basse qualité, et y associe sa voix, commentant, digressant, grondant parfois. Il filme sa chambre d’hôtel. Puis un parterre d’oeillets, réalisé au festival d’Avignon, en hommage à son amie décédée, Pina Bausch. Il évoque ensuite les cicatrices de son oeil qui, s’il ferme l’autre, lui font voir comme dans de l’eau. Le fragment suivant se déroule dans un centre médical. Delbono y passe un test de dépistage du VIH. Il dit qu’en réalité, il connaît le résultat depuis vingt-deux ans, et qu’il vit depuis avec «ce mal obscur». Plus tard, il rend visite à sa mère. Pendant qu’elle lui parle, il commente en voix off : «tu répètes depuis cinquante ans les mêmes choses», et fustige les valeurs traditionnelles qu’elle ressasse : «mères serviles habituées depuis des siècles à pencher la tête sans amour». La construction du film semble ne reposer que sur un arbitraire poétique, hors de tout souci de raconter quelque chose, ou même de développer un propos. Le texte, aussi fragmentaire et elliptique que les images, relève plus de l’incantation que du discours structuré. Seront évoqués, en vrac, la folie, la danse, le fascisme, la guerre, les quarks, les amies vedettes de Delbono, Rimbaud, et le Sida, qui, dit le metteur en scène italien, lui a «appris à mieux regarder». Si le cinéma expérimental (c’est-à-dire s’éloignant des conventions habituelles du 7e art) a toute sa place sur grand écran, cet essai passablement confus laisse en revanche perplexe. Aucune ligne directrice ne semble s’en dégager, et l’on a l’impression d’un bout à bout de vignettes plus ou moins intéressantes, liées entre elles par un texte peu inspiré. Delbono enchaîne, d’une voix lourde et soporifique, de pompeuses considérations sur la beauté de la différence, la cruauté de la guerre, le mystère de l’univers, etc. Certains plans, outre leur laideur assez remarquable, laissent songeur quant à leur signification profonde. Pourquoi, par exemple, s’attarder sur ces chiens en peluche qui bougent la tête dans une vitrine de Noël ? Mais comme on nage en pleine poésie, la question est sans doute déplacée. On l’aura compris, à moins d’être un inconditionnel admirateur de Delbono, par ailleurs metteur en scène de théâtre réputé, on est vite gagné par une impression de remplissage prétentieux et vain. Ce salmigondis auteuriste à l’extrême, visuellement indigent et spectaculairement ennuyeux, qui ose poser de vraies questions comme : «et le vide, qu’est-ce que c’est le vide ?», saute à pieds joints dans la caricature quand, vers la fin, la voix off s’emballe et se met à crier, éructer sa vérité sur fond de musique rock. Delbono a pour lui de ne pas craindre le ridicule. On retiendra de ce pénible exercice de cinéma pseudo poétique qu’il ne suffit pas de citer Rimbaud en filmant le tapis roulant du métro pour être profond, et qu’un lieu commun proféré comme une fulgurance reste un lieu commun.
© LES FICHES DU CINEMA 2013