Synopsis
Premier film de la scénariste Nöelle Mesny Deschamps, présenté à la Mostra de Venise en 2012, Dreamers s’immisce dans l’imaginaire d’une dizaine de cinéastes reconnus, depuis les années 1980 ou plus récemment. Ils ne se connaissent pas forcément, n’ont pas travaillé ensemble, mais, outre leur longévité, partagent, selon l’auteur, un point commun : transmettre un «cinéma de l’émotion», notion vague s’il en est, et dont, par conséquent, on laissera à chacun la libre appréciation. Posant les mêmes questions à chacun d’eux, la réalisatrice monte à la suite leurs réponses, face caméra. Un parti pris efficace (bien que trop systématique) qui permet au spectateur d’appréhender au plus près l’origine de leur passion et leur démarche d’auteur. Quelle conception - technique, humaine, voire éthique - du métier fonde leur pratique et, irriguant celle-ci, quelle source intime, écheveau de rêves, d’images et d’influences, en constitue la vocation, le coeur secret ? Qu’ont-ils en partage, où est leur inaliénable singularité ? Et, au-delà des mots, qu’ont à dire ces visages, filmés le plus souvent en très gros plans ? On découvre ainsi que Pan Nalin (Samsara, 2001) se faisait une fête d’aller au cinéma en famille dans son village, quand Jaco Van Dormael (Toto le héros, Le Huitième jour, Mr. Nobody) rêvait de devenir Ivanhoé. Le scénariste Akiva Goldsman (Un homme d’exception, Da Vinci Code) se projetait physicien nucléaire alors que Jacques Audiard (Sur mes lèvres, Un prophète, De rouille et d’os) ne pensait, adolescent, qu’à la littérature. James Gray (Two Lovers, The Immigrant [v.p. 331]), marqué par Apocalypse Now, se rêvait en Coppola avec son porte-voix... Pour rompre la monotonie et l’austérité formelle de ces interventions, la réalisatrice illustre leurs propos d’extraits de films. Choix judicieux : un cours d’eau cher au cinéma de Boorman ; Notre Dame et les ponts de Paris ou la Tour Eiffel «by night» pour la citadine Maïwenn ; le New York populaire de Gray et de Francis Lawrence ; le banian indien aux branches tentaculaires de Pan Nalin ; la peinture de Magritte et de Basquiat pour Van Dormael ; des extraits du jeu d’Emmanuelle Devos dans Sur mes lèvres d’Audiard ; la mariée aérienne de Kusturica dans Le Temps des gitans. Rapprochant les points de vue ou les opposant au gré du montage, Dreamers révèle surtout la primauté, pour chacun, du scénario, essentiel pour transmettre leur vision, et l’importance du travail (trois heures par jour pour Van Dormael et Audiard) pour que jaillisse l’émotion. Avec humour, Gray se traite ainsi d’imbécile paresseux lors du premier jet de Little Odessa. Enfin, grâce aux interventions en voix off de la réalisatrice, le film parvient aussi à susciter le rire. Exemples de réponses de certains cinéastes, décontenancés par ses dernières questions : si vous étiez une femme ? «La mienne. Elle est parfaite», dit Arriaga. Si vous ne deviez envoyer qu’un télégramme sur une île déserte ? À elle seule, la réplique d’Audiard citant Willy Brandt justifie ce film pédagogique et excessivement scolaire : «Je n’ai rien contre Dieu, c’est son personnel au sol qui me dérange».
© LES FICHES DU CINEMA 2013