Synopsis
Faute de mieux, il faut bien qualifier de «documentaire» ce nouveau film de Claude Lanzmann qui, près de trente ans après le monument Shoah, en est un à son tour, riche, intense. Mais c’est tellement plus ! Alors, on pourra reprocher à Lanzmann de ne pas livrer d’emblée les clés de ce qu’il montre et révèle... Patience ! Au terme de 218 denses minutes, vous les aurez toutes en mains. Après un préambule où sont exposées les difficultés qu’il rencontra pour mener à bien son projet, nous voici à ses côtés, en Bohême, à la gare de Bohusovice, qui vit arriver des milliers de déportés après la mainmise nazie sur la Tchécoslovaquie, puis à Terezin, alias Theresienstadt. Massif, du haut de ses 87 ans, il nous associe à son pèlerinage à travers ce qui reste de cette ville-forteresse, que les nazis habillèrent, dès 1941, en ghetto «modèle». Un film de propagande fut même titré Le Führer donne une ville aux Juifs ! Tromperie criminelle : il s’agit en fait d’un camp où souffrirent et moururent de faim, de maladie, d’exactions ou d’exécutions, des milliers de déportés que Lanzmann évoque à plusieurs reprises avec puissance, et où des milliers d’autres transitèrent avant d’être transférés à Auschwitz. Peu à peu, un deuxième film se mêle au pèlerinage de 2012. En 1943, Eichmann décide de constituer à Theresienstadt un Conseil Juif, dont fit partie l’ancien rabbin de Vienne, Benjamin Murmelstein, avant d’en devenir le seul dirigeant à l’automne 1944. En 1975, préparant Shoah, Lanzmann rencontra longuement Murmelstein, alors installé à Rome. Ce sont ces entretiens qu’il nous livre ici. Murmelstein, impressionnant de vivacité et - oui ! - d’humour (il avait alors 70 ans), s’est trouvé au centre des plus dramatiques contradictions. Rabbin de Vienne après l’Anschluss, envoyé à Theresienstadt, il dut naviguer entre les exigences d’Eichmann et des nazis et la protection de la communauté juive. Position insoutenable, piège inextricable sur lesquels, trente ans plus tard, il portait un regard aussi lucide qu’acéré : «Je fus le dernier des injustes» dit-il, évoquant, faussement sarcastique, André Schwarz-Bart. Controversé, Murmelstein le fut, accusé d’avoir collaboré, jugé et innocenté : on pense à Rudolf Kasztner, «le Juif qui négocia avec les nazis», auquel Gaylen Ross consacra un remarquable film en 2012. On pourra reprocher à Lanzmann de ne pas avoir assez précisé ce que devint Murmelstein : il vivota comme marchand de meubles à Rome, où il mourut en 1989, et le grand rabbin de Rome, dit Wikipédia, refusa qu’il soit inhumé auprès de sa femme. Jamais Lanzmann n’élude les questions gênantes, ne gomme les contradictions de Murmelstein. Sa réhabilitation, car c’en est une, n’en est que plus convaincante. Parmi les moments les plus forts, ce qu’il révèle sur l’action et la personnalité d’Eichmann, à qui il eut si souvent affaire. Aux antipodes du «bureaucrate banal» sans cesse dépeint depuis Hannah Arendt, il était un nazi convaincu, un chef zélé, à l’antisémitisme féroce, fortement corrompu. Le procès d’Eichmann en 1961 fut un «procès d’ignorants» écrit Lanzmann... où nul témoignage de Murmelstein ne fut retenu !
© LES FICHES DU CINEMA 2013
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