Synopsis
Trente-cinq ans après ce qui restera un fiasco (le projet fut arrêté le jour même où l’équipe s’apprêtait à monter les plateaux de tournage en Algérie), et s’ouvrant sur une phrase prononcée par Nicolas Winding Refn ("Ce qui apporte la lumière doit supporter la brûlure"), ce documentaire narre ce qui faillit être "le plus grand film de SF de tous les temps" : Dune, adaptation du roman de Frank Herbert par l’extravagant Alejandro Jodorowsky. C’est en 1975, après les succès européens de El Topo (1970) et surtout de La Montagne sacrée (1973) que le producteur Michel Seydoux propose à Jodorowsky d’adapter Dune. Celui-ci accepte, bien que ne l’ayant jamais lu. "Je voulais créer quelque chose de sacré, de libre, avec une vision unique. Je voulais ouvrir les esprits", dira-t-il. D’après cette profession de foi, il se met en quête de trouver ses "guerriers", convaincant à tour de rôle, au détour de rencontres plus hilarantes les unes que les autres, Moebius, Giger, Dali, Mick Jagger, Orson Welles et les groupes rock Magma et Pink Floyd. Le personnage principal devait, lui, être incarné par le propre fils de Jodorowsky, Brontis, qui, âgé de 12 ans, a dû, deux ans durant et dix heures par jour, apprendre les arts martiaux avec le champion du monde français Jean-Pierre Vignau. Un parcours que le contrepoint apporté chaque fois par le malicieux coproducteur Jean-Paul Gibon rend jubilatoire. En résultent un story-board de 3 000 dessins digne d’une oeuvre d’art, un enthousiasme démiurgique, un budget prévisionnel de 15 millions de dollars (celui de Star Wars sera de 11 millions) et les félicitations des grands studios hollywoodiens - suivies de leurs refus, tant ils craignaient le caractère de Jodorowsky. Il est vrai par exemple que quand on lui demandait un film d’1h30, lui n’envisageait pas une durée de moins de 10h ! "Il faut être comme un poète, faire comme on rêve", explique Jodorowsky. Et la force du rêve est bien ce qui ressort de cet échec, qui marqua durablement le réalisateur ; même si, dans une confidence drôlatique, il explique s’être réjoui de constater combien était ratée l’adaptation qu’en fit David Lynch, auteur que par ailleurs il admirait. Rendons également hommage à Michel Seydoux, qui ne chercha jamais à changer de réalisateur et passa Dune par pertes (sans profits). L’ironie du sort veut que, sans ce projet qui réinventait la science-fiction, il n’y aurait peut-être pas eu d’Alien, de Star Wars, de Blade Runner ou de Total Recall... sur lesquels tous les artistes pressentis par Jodorowsky ont travaillé, ainsi que le fait remarquer de façon circonstanciée le critique Devin Faraci. Jodorowsky et Moebius eux-mêmes recycleront leurs idées dans le cadre de la bande dessinée, principalement dans L’Incal. Reste que, si les animations visant à nous laisser imaginer ce qu’aurait été le film sont aussi réussies que bienvenues, le documentaire adopte pour le reste une forme très classique en enchaînant sagement les entretiens face caméra. Mais qu’importe, puisque Jodorowsky, avec son humour et sa force de conviction, apporte au film toute la folie et l’énergie qui pouvaient lui manquer.
© LES FICHES DU CINEMA 2016