Synopsis
Entre chien et loup, un long panoramique, métronome languide, balaie la surface d’un lac. La lumière s’affaisse lentement. Une forêt se reflète sur sa surface, s’y assombrit, prenant l’allure d’une onde audio silencieuse, motif noir Soulages sur bleu Klein. Une communauté libertaire en Estonie. Un homme lit allongé. Alors qu’il pose son ouvrage, on découvre un jeune enfant assoupi sur sa poitrine. D’autres hommes s’affairent à la savante construction d’un dôme de bois. Un petit groupe musarde en écoutant jouer un guitariste noir. Des billots s’entassent dansune brouette. Une baignoire remplie d’eau verdie loge dans la nature. Des hommes s’y succèdent, encore chauds d’un sauna. Une femme fait la vaisselle et constate un sillon dans l’eau salie. Elle s’interroge sur la figure de la spirale : son centre tendrait-il vers l’infini ? On évoque le Shangri-la, la fameuse lamaserie utopique et tibétaine : l’idéal de cette communauté ? Le groupe va se baigner au bord d’un lac, au pied d’une usine immergée. Des inserts de triangles braisés ponctuent le film. Le guitariste noir quittela communauté et va s’isoler en Finlande septentrionale. La forêt, la roche noire gagnée par la mousse et le lichen. Une colonie de minuscules champignons teintés de rouge, qu’escalade tant bien que mal une chétive et minuscule araignée. L’homme pêche sur un lac - gris et verts pastel -, qui pétille sous l’effet d’une légère averse. Toutes les sept secondes environ se fait entendre le cri monocorde d’un oiseau - un merle noir ? Le plan s’étire, l’averse se fait plusdrue et finit par abonder. Des fourmis grouillent surun enchevêtrement de brindilles mortes. L’homme évolue avec candeur dans une succession de décors, de saynètes quasiment immobiles où se déploie toute l’immanence de la nature. Enfin, l’homme, danssa cabane, à la lueur d’une bougie et dans le reflet sombre d’un miroir, étale une substance blanche sur son noir visage. Il met le feu à son refuge, qui vomit flammes blanches et jaunes au ciel. Écran noir, gémissements, plainte d’une guitare, cacophonie métallique : un concert de black metal maintenant, quelque part en Scandinavie. La caméra se balade, dans un mouvement ininterrompu, sur les visages des quatre musiciens, filmant à ras leurs peaux peinturlurées de blanc. La musique est ponctuée d’incantations inintelligibles : invites au diable, aux esprits de la forêt ? Le flou aidant, on ne voit parfois plus qu’un écran noir dardé d’éclairs blancs. L’appareil s’attarde sur le visage de notre héros, sa barbe noire, son visage cendré et ses dents jaunes qui jaillissent de sa bouche rouge sang. Celui-ci s’empare du micro de ses mains tatouées, terminées par des ongles noirs. La caméra se tourne maintenant vers le public, qui est visiblement en transe, comme médusé. Le concert prend fin. Il faut aller vers ce film sans a priori et s’en emparer, puis s’y abandonner afin de se perdre dans un intense état contemplatif. Tout y concourt : la beauté des images et des cadrages rendus splendides par la fluidité du montage, la qualité du son. Tout concorde pour que s’exerce un puissant sortilège. On aimerait vivre plus souvent telle expérience.
© LES FICHES DU CINEMA 2015